Mercredi 8 août 2018
Je me réveillai d’un sommeil lourd dans ce petit paradis au pied des plus hautes falaises de France. La mer était de diamant que le soleil commençait à faire scintiller de cette miriade d’éclats que l’on ne constate qu’en Méditerranée. Je me sentais apaisé. Même la manœuvre de relevage du mouillage pourtant si physique en temps normal était douce et facile avec juste 6m de fond.
Un léger coup de moteur et voilà Babar qui glissait doucement sur cette mer étincelante. À la sortie de la baie un petit vent me permit d’arrêter rapidement le moteur pour passer à la propulsion la plus ancienne qui soit. Le vent était orienté sud est et, au passage de l’île Riou, je mis les voiles en oreilles d’éléphants pour bénéficier d’une propulsion des 2 voiles tout en restant parfaitement vent arrière. Cette allure est assez complexe à gérer mais Babar s’en sortait très bien.
Je dépassai au loin Marseille et le Frioul lieux de si bons souvenirs une semaine avant. C’est curieux l’impression que nous avons lorsque l’on repasse à un endroit riche de souvenirs même récents. Je ressentai comme une cristallisation de ces moments, comme s’il me suffisait d’y penser pour qu’ils réapparaissent devant moi. Hélas le temps est cruel et il ne laisse aucune trace des moments des Hommes à part dans leur mémoire éphémère. C’est aussi pour cela que j’écris ce blog. Même si je sais, en bon marin, que tout s’efface au fil du temps comme la mer referme derrière un bateau l’écume de son passage.
Je décidai de rallier le port de Sausset-les-Pins situé sur la côte Bleue pour pouvoir le lendemain partir directement vers la Camargue. J’arrivai par un vent qui avait légèrement forci pour tourner les amarres du bateau après une navigation finalement sympathique mais un peu physique sur la fin.
Après avoir, acte ô combien symbolique, nettoyé et plié le youyou (le petit bateau pour aller à terre) synonyme de fin des vacances, j’allai à terre faire quelques courses et acheter un bon turbot pour le soir à la poissonnerie locale que je conseille.
La nuit fut chaude et lourde et j’avais du mal à trouver le sommeil. Je me réveillai d’une courte nuit à 7h pour partir faire mes 50 milles de traversée de la Camargue et rallier Port Camargue. La navigation s’annonçait très pénible avec une forte houle de face conséquence des vents forts et grains orageux vers la Catalunya Nord (chez moi quoi…) qui avaient sévi la veille au soir. Le bateau cabrait, dansait au grès de la houle sans pouvoir se stabiliser. À un moment je me sentis assez mal et du manger un morceau pour acclimater mon estomac. Vers les 11h le vent se stabilisant Sud je pus envoyer mon gennaker pour une nav directe à 6/7 nœuds. La traversée de la Camargue est tout simplement une navigation sans intérêt si ce n’est d’avoir parfois du bon vent bien orienté et c’est tout à la voile une fois de plus, comme à l’aller, que j’entrepris son passage. À noter que les pétroliers et porte containers du golfe de Fos devaient être en grève ce jour car je n’en vis pas un seul avec lequel composer. 😎
En tout 10h de mer et d’introspection habituelle. Lectures, bouffe, navigation, réglages des voiles, contemplation et pensées. Je repensai justement à la force de la mer de vous faire passer les mauvaises pensées et de vous permettre de passer des caps de vie. C’est d’ailleurs un des bénéfices de cette croisière. À quoi bon s’emmerder dans la vie quand on constate que, comme la mer le fait avec nos traces humaines, tout ce que l’on fait ou entreprend disparaît totalement sans laisser la moindre trace. Étant donné que tout le monde n’est pas Platon ou Mozart, nos pauvres petites vies de mortels sont au diapason de cette cruelle réalité : il ne restera rien de nous et de nos actions. Je prône donc sans angélisme l’amour universel de l’instant ! Qu’il y a t il finalement de plus exaltant sur l’instant que le fait d’aimer ? Aimer une femme, aimer un coucher de soleil, aimer le vent sur son visage, l’eau de mer qui nous étreint lorsque l’on plonge en elle… Et moi j’ai aimé et j’aime intensément tous ces moments. Certains sont d’une issue douloureuse d’autres mélancolique mais tous sont gravés dans ma mémoire… Éphémère…
Revenons à cette navigation qui se finit sous un soleil de plomb qui me brûlait la nuque et sous un vent qui tendait à devenir faignasse. Mais j’arrivais à bon port non sans avoir été affligé d’écouter un triste con à la radio Vhf qui était en communication avec le port. Ce type s’offusquait que 2 petits cata du club local de voile sortaient du port à la voile (oui c’est soi-disant interdit mais surtout pour les croiseurs pas les voiles légères). Il sommait donc la capitainerie d’agir et de sermonner ces pauvres jeunes du club. Le con insistait lourdement avec cette voix caractéristique du vieux con retraité de la fonction publique avec un accent pointu (je vous laisse deviner la provenance…) qui se croit chez lui partout à partir du moment où il paye. Je ne sais pas comment le gars de capitainerie a gardé son sang froid. Et évidemment comme tous les cons de ce type il conclue l’échange par : merci de faire votre travail… No comment. Je dus me forcer pour ne pas prendre la parole…
Ah et puis the last but not least dans la connerie ambiante : j’annonce la création du catamaran discothèque ! C’est sans limite et désespérant…
À partir de demain je redeviens terrien pour quelques jours et retrouverai Babar pour la nav finale dimanche.