Mercredi 24 mai 2023
Depuis le début de la croisière j’ai deux passagères clandestines, 2 petites araignées qui ont fait leurs toiles à deux endroits différents sur le pont de Babar. Je les laisse tranquilles car je me dis qu’elles sont des alliées précieuses contre les moustiques. Je les observe un peu et reste admiratif de leur sens de la survie. Le vent, la pluie, les embruns, les vagues etc, rien ne les arrête. Je me demande où elles vont se protéger mais elles sont toujours là et leurs structures aussi, même si elles doivent sans cesse les consolider. Finalement cette petite expérience me permet de constater la quête permanente de survie qui nous anime tous, que l’on soit humain comme simples petites araignées qui n’ont certainement pas conscience du support sur lequel elles vivent le temps d’une croisière. Pour moi c’est une plate-forme de plaisir, pour elles, de vie.
Après ces réflexions de comptoir du matin, je quitte ce petit paradis en quête d’un autre. Le vent est quasi nul mais je garde la voile sans brancher le bourrin jusqu’au moment où, passé du côté sud de l’île, Eole se réveille doucement sans se presser. Il décide de me porter jusqu’à l’île d’Hydra.

Sur la route je croise un grand nombre de voiliers qui vont au même endroit que moi ou en reviennent. Je choisis évidemment un mouillage loin des cons qui vont tous au village bondé, pour aller plus au sud dans une petite baie où trône une immense et très belle maison blanche avec son ponton privé et son bateau amarré, moteur faut il le souligner ?
J’aime, une fois le bateau mouillé, procéder à sa mise en ordre : lover tous les cordages et les ranger soigneusement, bloquer la bôme, ranger la grand voile, éteindre les instruments. Et, bien sûr, plonger vérifier le mouillage. L’eau est encore à dix sept degrés mais j’y entre assez facilement. Sous l’eau je fais une rencontre étonnante, une sorte de mini méduse avec des lumières fluorescentes qui bougent, c’est une noix de mer ou une Salpidae, difficile à dire.

Je passe la soirée sur le pont à observer le cycle de notre planète sous la musique de Cesaria Evora et je me sens tout petit petit… les odeurs changent avec la nuit, plus fraîches, plus humides, les sons aussi avec quelques insectes nocturnes qui prennent la place des chèvres audacieuses à crapahuter en famille sur les rochers escarpés, même la mer change, elle s’apaise, passe par des teintes de métal vers le noir absolu strillé de quelques risées, le soleil s’embrase pour laisser la place à un fin croissant et son berger d’étoile, Venus, les autres étoiles entreront en scène plus tard. Je suis toujours surpris de constater le peu de pollution visuelle en Grèce, à croire qu’il n’y a personne qui habite ces côtes. Je laisse ainsi mon esprit flotter sur l’onde avec mon Babar, en paix, avec la voûte étoilée comme couverture.




Jeudi 26 mai
Tout est d’un calme olympien dans la baie. Pas un soupir, pas un son à part quelques cloches de chèvres et bourdonnements d’insectes qui se réveillent au diapason de la nature. Je me décide enfin à gonfler l’annexe, opération ô combien pénible quand la chaleur commence son office. Je vais me balader à terre pour me dégourdir les jambes et humer de plus près les essences Méditerranéennes.




10h15, il est temps d’appareiller même si le vent est pour l’instant aux abonnés absents. Le beau 51 pieds voisin me complimente d’ailleurs sur Babar mais le sagouin a l’habitude et snobe un peu les yachts de touristes. J’essaye de faire bonne impression en ayant relevé l’ancre en chemise et les salue en passant.
Dès que nous nous trouvons en mer, le vent devient excellent et monte en puissance. Il vient du nord est entre douze et quinze nœuds me propulsant autour des sept nœuds. C’est une vraie valse proposée à Babar en virements de bord et surtout avec ses nombreux partenaires de jeu du jour, les autres voiliers, qui font route vers le golfe Saronique. Au près serré, nous nous amusons à tous les déposer les uns après les autres. Nous avons l’impression d’être des flibustiers à les chasser à tour de rôle.



Après quinze milles de cette danse, le vent faiblit considérablement. Pas grave, j’envoie le gennaker et continue le ballet autour des autres voiliers. C’est un vrai massacre, même les catamarans semblent englués. Au nord de Poros le vent fraichit en venant plein vent arrière du sud. J’affale le gennaker qui est devenu inopérant et reste sous grand voile haute. Il est 16h30, je suis en train de dépasser le mouillage que j’avais prévu pour la nuit, que faire ? Allez hop, je continue, le vent est trop bon ! Un empannage devant Methania et je mets le cap sur Egine.
En observant la côte je constate beaucoup de mâts par ci par là et je pense soudain à quelque chose… on est jeudi et c’est le jour fatal pour le golfe Saronique et en particulier Egine ! C’est le jour de retour des flottes de location qui doivent rendre habituellement le bateau le vendredi ou le samedi, et les skippers profitent tous d’une dernier escale sur cette île. Résultat, je me retrouve sans solution, arrivé trop tard sur zone pour espérer trouver un trou de souris où poser Babar pour la nuit. Je décide de continuer et tenter ma chance sur deux spots : retourner au port de l’île d’Agistri ou sur le Péloponese à Epidaure. Le vent continue de souffler, et sous le vent des îles, se renforce même. J’arrive enfin à Agistri, évidemment le port est bondé avec même des bateaux à couple. C’est pas grave, je m’arrête là et je mouille devant le port. Le vent est soutenu et la mer hachée mais ça devrait se calmer dans la soirée. Je suis, malgré tout, très satisfait de cette journée de navigation de quarante et un miles parcourus, une fois de plus, uniquement à la voile.