Une navigation d’automne

Jeudi 1er novembre 2018

Le calme… Enfin. J’arrive au port encore engourdi de ma nuit agitée. Quelques passants et plaisanciers conversent sur le quai. Il fait doux, il n’y a pas de vent et un air de petit printemps excite mes sens. Les bateaux blottis les uns aux autres se balancent au diapason de la légère houle entrée dans le port.

J’entre dans le bateau. L’odeur habituelle est là. Une odeur douceatre d’humidité, de polyester et de bouts. Tout est toujours en place, comme si le temps s’était arrêté à l’été passé. La matière inerte porte en elle la christalisation des événements et les souvenirs la rendent vivante. Ici je repense aux belles navigations, à l’arrivée frénétique dans un nouveau port ou un mouillage et ses préparatifs avant d’accoster.

Je mets en marche mon Faucon Millénium nautique et je glisse doucement dans le port vers la sortie et le large. Le vent est faible, quasi nul. La petite houle, dernier souvenir de la tempête de la veille, me salue comme si je lui avais manqué ! Allez, bout au vent on envoie la grand voile. Je laisse aller tribord armure direction nord-est avant d’envoyer mon foc.

Peu de bateau en mer. Parfait je vais pouvoir me laisser aller à ma circonspection habituelle et nécessaire. Je branche le pilote et c’est parti.

Au fait, pour ceux qui ont l’habitude de me lire vous aurez remarqué que je suis passé au présent dans ma rédaction. J’utilisais le passé comme signe de ma nostalgie, désormais c’est au présent que je veux conjuguer mon ressenti et mon appréhension du moment et du temps qui passe.

Étonnament le bateau glisse admirablement alors que sa carène doit être bien dégueulasse. Peut être que le froid spontané de ces derniers jours aura désactivé les petits organismes marins et autres algues. Je regarde la mer, le large et dans l’arrière pays je devine la montagne sacrée des Catalans le Canigó déjà coiffé de son couvre chef hivernal de neige. Le temps est beau et je dois mettre un peu d’huile solaire et sa fameuse odeur de monoï porteuse de douceur estivale.

Il est temps de déjeuner. Je me prépare un petit sandwich de saumon et avocat. Les salades de mer estivales ne sont plus au menu pour des navigations automnales. Un morceau de fromage, quelques carrés de chocolats, des clémentines et je me replonge dans mon livre d’Hemingway (le tome 1 de ses œuvres romanesques). Il s’agit d’une édition de la Pleiade tirée de la bibliothèque riche de mon grand père que j’ai apporté à Paris. J’en ai pour une vie pour tout lire et cette perspective m’excite et me chauffe le cœur. Rendez vous compte Zola, Camus, Maupassant, Balzac, Tolstoi… Je vais côtoyer ces immenses stars planétaires durant toute ma vie. Quel privilège, quelle joie ! pour l’instant j’attaque depuis quelques semaines l’œuvre d’Hemingway. Pourquoi lui ? Je pense que nos lectures doivent suivre notre état psychologique du moment. Cet auteur par ses tourments et sa créativité puissante correspond à mon état d’esprit actuel. Son récit sur la Grande Guerre et une histoire d’amour est d’une grande beauté tragique (l’adieu aux armes).

Le vent a commencé à fraîchir et il est passé nord-est maintenant. Je file bon train à près de 5 nœuds. La sieste est terminée il est temps de passer aux réglages du Babar. Il se frise les moustaches le coquin ! Nous sommes bientôt à Sainte Marie. Je n’ai pas envie de faire demi tour. Pourtant d’ici 1h il faudra commencer à y songer…

Il est 15h. Le soleil est voilé de nuages et la mer commence à prendre sa tonalité métallique hivernale. Pendant ce temps le bateau avance, imperturbable droit dans ses lignes. Moi je lis les dernières pages de l’adieu aux armes. Le texte est magnifique et puissant. La leçon de cette histoire d’Hemingway ? Que l’amour doit être vécu intensément et surtout malgré les difficultés. Que c’est une chance et qu’il ne faut pas la gâcher car hélas la vie s’en charge pour la rendre tragique.

Il fait froid maintenant. Le vent est passé sud-est et porte en lui l’humidité du large. Mais je n’ai pas envie de rentrer. Je veux rester là, continuer la route, me perdre et découvrir des côtes inconnues, chevaucher la mer au grès de ses caprices. Hélas je dois rentrer, retrouver les affres de la vie terrestre si triste et monotone.

Le vent est irrégulier mais fait avancer par à-coups le bateau. Parfois vite parfois lentement. J’ai les doigts engourdis du froid et pianoter sur les touches de mon smartphone pour écrire ces lignes devient pénible. Je dois néanmoins régler les écoutes du bateau pour optimiser sa vitesse et son allure. Je descends en bas car le froid devient mordant sur le pont. J’aime être à l’intérieur du bateau et l’observer avancer et réagir aux vagues et au vent. Je me sens bien et en sécurité.

Au loin vers le massif des Aspres le temps se gâte et des rayons de soleil essayent désespérément de percer le noir obscur des nuages de pluie. L’espérance du soleil derrière les nuages est prometteur de lendemains heureux.

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