Mardi 16 et mercredi 17 juillet
C’est la 2e fois en 3 ans que je vais en Corse avec Babar. La dernière fois c’était en 2016 (voir articles de l’été 2016). Il s’en est passé en 3 ans dans ma vie et aujourd’hui, c’est un peu dans un état d’esprit différent de la dernière fois que je m’apprête à faire le voyage.
Cette escale à Golfe Juan m’aura permis de m’alléger la bourse de 300€ pour réparer le moteur de l’annexe. Je crains que le gars m’ait pris pour un parigot… Mais tant pis, pour une urgence, c’est le tarif. J’ai aussi eu des voisins de ponton sympathiques et pu constater une ambiance agréable parmi les plaisanciers du port. Mais la côte d’Azur ne me plaît pas tant que ça, trop de monde, trop de villas, trop de yachts. J’ai hâte de reprendre le large.
La météo annonce une fenêtre qui s’ouvre parmi les coups de vents et dépressions qui se succèdent depuis plusieurs jours. Cette fenêtre de 24h devrait m’offrir du bon vent d’ouest sans discontinuer avec encore de la houle résiduelle conséquence des tempêtes d’hier. Après un point météo précis et les conseils de Seb à distance me voici fin prêt pour la traversée. À une limite près… Il me manque une carte papier de la route. Car je n’oublie pas que malgré toute l’électronique du bord celle ci peut tomber en rade et moi avec… Je vais au magasin AD du port et en entrant dans la boutique, j’entends les vendeurs parler Catalan ! J’engage aussitôt la conversation le cœur réchauffé par des compatriotes.
À 11h30 j’appareille et mets le cap au 128 degrés. Le vent est là et je zigzague entre les motor yachts mouillés dans le golfe jusqu’à la plein mer. Enfin… Un sentiment mêlé d’excitation et de concentration me prend tout à coup. J’attendais ce moment depuis plusieurs mois… Positionner l’étrave du bateau pile face au large.
La houle est bien là aussi. Lourde et puissante, elle vient du nord et porte en elle les souvenirs de la tempête qui s’est abattue sur l’Italie et la Corse. Elle chârie avec elle nombre de détritus et je constate, l’âme en peine, les dégâts de notre civilisation… Des plastiques de partout… Bourses, bâches, ballons, bouteilles… C’est un désastre. Que faire ? Autant sur les comportements nous pouvons, à titre individuel, faire avancer les choses, autant sur le packaging nous ne pouvons pas grand chose. Il faut que États et industriels s’accordent : plus aucun emballage ! Car je suis, moi même, victime et complice à mon insu. En mangeant une madeleine évidemment dans emballage en plastique, une rafale a déstabilisé le bateau, j’ai perdu l’équilibre et… L’emballage avec. Et c’est tout énervé que je l’ai vu partir à la baille. Est ce que cela fait de moi un éco-criminel ? Oui bien sur… Mais involontaire et malgré moi. Et la madeleine était bio bien sur…
La navigation continue tranquillement à l’allure de bon plein à près de 6 nœuds. Tout à coup je vois au loin de l’écume au dessus des flots. Est ce la houle qui déferle ? Non l’écume est régulière. Pas de doute c’est un troupeau de dauphins ! En approchant de plus en plus je constate que c’est une forme unique. Une baleine !!!! Youpi ! Et plus j’approche plus je constate, odeur forte à l’appui, qu’il s’agit effectivement d’une baleine… Mais morte. Quelle horreur. Depuis le départ voici le bilan : des plastiques, un ballet incessant de motors yachts, des hélico en pagaille dans le ciel et le cadavre d’une baleine qui doit bien faire 12m. Je n’ai pas de mots pour décrire mon sentiment de dégoût de notre monde. Et la France championne des donneurs de leçons qui n’est même pas capable de régler tout ce bordel. Il est évident que la baleine a été percutée par un yachts à pleine vitesse ou un gros promène couillons. Et le plastique il vient pas de Chine là.
Je continue toujours sur mon cap en espérant qu’au fil de ma progression ces visions d’horreur vont s’estomper au large.
Le large… Enfin. Je suis à plus de 15 milles de la côte maintenant. J’ai le cœur qui se remplit progressivement d’une joie immense. Le vent, le soleil, le scintillement de la mer… Et personne. Seul. Et puis une pensée : partir loin. Continuer vers la Grèce. Et même au-delà. Qu’est ce qui m’en empêche après tout ? Mais tout ceci n’est qu’un rêve d’enfant. Bien sûr un jour je l’accomplirai mais pas seul. La vie est parmi mes semblables, entouré des gens que j’aime et surtout proche d’une personne en particulier qui se reconnaîtra.
16h : le vent tourne maintenant progressivement pour venir plein ouest me permettant d’opter pour l’allure reine de Babar : le travers. Il est temps de changer la garde robe de Babar pour saluer ce vent de la meilleure des façons. Le gennaker est de sortie !
C’est alors que je la vois… Elle est là sensiblement distincte dans la brume au lointain : la Corse. À dire vrai je la distinguais déjà peu après le départ, identifiée par des nuages immobiles, certainement bloqués par la montagne.
Quelle chance, je vois le continent et les neiges sur les Alpes et en même temps la Corse. C’est un peu la déception finalement car jamais je n’aurai vu la mer à perte de vue durant cette traversée. Mais je ne vais pas me plaindre en plus !!!
Le temps passe et toujours aucune rencontre marine à part une chasse de thons occupés à mettre la pagaille dans un banc de poissons.
Et la soirée arrive. Je me prépare à dîner (riz et jambon) en contemplant le cycle immuable et métronomique des astres.
Aucune angoisse, juste un sentiment de plénitude comme si j’étais à ma place à cet endroit présent. Conscient du moment et heureux.
Le soleil disparaît et la lune arrive. Je me dis que les choses sont bien faites. L’une s’en va avec sa chaleur et sa lumière et l’autre arrive sans la chaleur mais avec sa lumière douce et apaisante pour la nuit.
23h : c’est alors que soudain, enfin, quelques dauphins viennent à mon étrave. Ils ne restent pas longtemps mais c’est magique de les voir sous la lumière de la lune. J’entends leur souffle depuis le cockpit. Le temps d’aller à l’avant et ils disparaissent.
La lune a un aspect bizzare. Tout d’abord pleine, progressivement elle est masquée en partie par une ombre, comme une éclipse. Ce qui est encore plus étrange c’est qu’elle est restée en croissant quasiment toute la nuit alors qu’une éclipse est, mais je ne suis pas un expert, courte dans le temps.
J’ai, depuis 21h30 affalé le gennaker car je reçois désormais le vent au près serré. La houle s’est apaisée depuis un moment et je glisse sur l’eau toujours sans mettre le moteur comme un funambule.
Je suis maintenant à moins de 30 milles de la Corse qui se signale à moi par le phare de la Revelatta. 2 éclats séparés de 5 secondes puis de 10. J’imagine que, avec la recherche de sécurité permanente de notre monde les phares vont bientôt disparaître remplacés par de l’électronique. S’en sera finit du charme de cette lueur au large porteuse d’espoir propre aux marins.
Aaah la sécurité de nos sociétés contemporaines… Il y a beaucoup à dire, je citerai juste Alexis de Toqueville, grand penseur de la démocratie qui, bien avant l’heure, prédisait une sombre destinée pour les démocraties pourtant libérées du joug des tyrans mais juste remplacées par la tyrannie de la sécurité. « si le despotisme venait à s’établir dans des sociétés démocratiques, il prendrait d’autres caractéristiques, plus douces et plus étendues et dégraderait les hommes sans les tourmenter. Je vois une foule innombrables d’hommes égaux et semblables qui tournent sur eux même pour se procurer petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme. Au dessus d’eux s’exerce un pouvoir immense et tutélaire qui pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs… Il couvre la société d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser les foules. Ce pouvoir ne brise pas, mais amollit, plie, dirige, il ne détruit point il empêche de naître, il ne tyrannise point, il gêne, comprime, énerve, étreint, hébète et réduit chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrie dont le gouvernement est le berger. » Écrit en 1835… Je laisse à chacun le soin de faire le lien avec notre société d’aujourd’hui. Catalans, Corses sortons des rangs !!! Il est temps ! Et moi, marin d’occasion, je m’autoproclame en marge de ce monde d’abrutissement.
Au fur et mesure, je distingue aussi les quelques lumières de la côte, peu nombreuses bien sûr ! On est loin de la Côte d’Azur…
Le vent fraichit dans tous les sens du terme, m’obligeant à mettre ma polaire. Il est 5h30 et le jour se lève avec une belle brise de terre qui me porte déjà en Corse avec de puissantes odeurs de maquis mêlées à de la terre sèche mouillée par la nuit et quelques signes d’odeurs de cochons et de brebis… Peut être mon imagination.
J’arrive maintenant à Calvi au bout de 18 heures de mer pour 95 milles nautiques tout à la voile ! Record à battre. Je choisis de poser l’ancre sur le plan d’eau vide de bateaux non sans saluer avec émotion les 2 bateaux échoués sur la plage certainement suite à l’énorme tempête d’avant hier.
Il est temps maintenant de profiter et préparer le bateau pour l’arrivée de ma douce prévue demain… Annexe gonflée, bateau rangé et dodo de 2h pour récupérer.
Bon à savoir :
– le plan de mouillage est très bon et de bonne tenue
– une bouée (que je prendrai le lendemain) : 20 € !