Jeudi 8 et vendredi 9 août
Je pars de cette île de passions. Quelle plus belle destination pour un être nourri de passions ? De la mer, de la voile, de l’amour, de la vie, du vent, du sel, du soleil, des êtres vivants…
Je me reconnais sur cette petite île, avec ce peuple rude, fier, que l’on doit prendre avec douceur sinon le drame n’est pas loin. Je participe moi-même de la même veine, du même tempérament. Et je suis inadapté dans les lieux aseptisés et conformistes comme Paris.
Passione, c’est aussi une chanson corse que j’ai choisi pour parler de Solenzu, mon chat de port, marin et solitaire.
Quel être qui se dit humain aurait pu rester insensible auprès de ce petit être, mammifère, cousin de notre espèce ? Être aussi nourris d’oxygène que l’on partage sur cette petite île spatiale qu’est notre Terre ? Terra Nostra. En Corse ou en Catalan cela signifie autre chose que la terre de propriété, c’est aussi une allégorie à notre communauté d’êtres sensibles aux mêmes vibrations. Tout animal peut aussi se targuer d’en faire partie. Moi je veux me déclarer frère d’air avec eux, car, entre mammifères c’est l’air qui nous unit. Cet air que l’humain ou plutôt la communauté des humains est en train de pourrir. Bientôt tout ceci va disparaître broyé par la bêtise et la cupidité.
À cet instant, autour de nous, Solenzu et moi, la mer totale et le vent nous entourent, Babar galope et chevauche de la Corse vers le continent depuis l’île Rousse d’où nous sommes partis à 10h. Il n’a pas l’air d’avoir peur blotti dans sa cabine.
Comme c’est curieux d’observer ce petit être fragile qui vit dans son monde, inconscient de ce qui l’entoure aujourd’hui, dormant paisiblement, pendant que moi je manœuvre et me soucie de son bien être. J’avais lu, il y a longtemps l’histoire d’un prophète qui, pour ne pas déranger son chat qui dormait sur une partie de sa tunique, la découpa et le laissa dormir. Seuls les êtres sensibles et éclairés peuvent agir de la sorte. J’ai toujours cru qu’un homme qui fait du mal à un animal peut faire de même avec un homme et inversement.
La relation que l’on peut nouer avec un animal ou avec la nature de façon générale est le lien véritable, réel et authentique que l’on peut tisser avec le divin. Je crois que cette relation est plus profonde et spirituelle qu’aller écouter le curé, le rabbin, l’imam ou tout autre prédicateur, qui relève plus de la mascarade qu’autre chose. Il y a plus de divin à croiser le regard d’un dauphin qu’à écouter le Pape parler de préservatifs. Chevaucher la mer à l’écoute du vacarme des molécules d’eau et d’air est un acte de foi. Ce sentiment est aujourd’hui encore plus puissant chez moi. Peut être que je suis en train, sans prétention, de m’éveiller, de me détacher d’avec la communauté mercantile et bête des hommes, loin des « conf call » et des PowerPoint…
La navigation qui me détache de la terre libre de Corse vers la terre des futilités absurdes suit son cours. Le vent d’ouest souffle entre 15 et 18 nœuds m’obligeant à conserver l’allure de près serré, inconfortable, mais j’aime sentir le fougueux Babar chevaucher les vagues.
Solenzu, lui, dort toujours comme si le boucan et le mouvement du bateau faisaient désormais partis de son quotidien.
16h : le vent faiblit mais je m’entête à conserver la voile sans mettre le moteur. J’aime cette sensation de liberté et de communion avec les éléments sans artifice mais avec résiliance d’accepter ses contraintes et sa loi.
Tout à coup, un dauphin femelle avec son petit me passent devant l’étrave. Comme un éclair, elle disparaît aussitôt. Au loin, des thons sautent gaiement, sûrement en train de chasser ou se faire chasser… C’est comme dans la vie, on est toujours le con de quelqu’un ! Celles et ceux qui n’en sont pas conscients, comportement assez typique sur Paris, l’apprendront tôt ou tard, sûrement trop tard…
18h : une tortue caouanne !!! Quelle belle rencontre ! Ce petit animal porte en lui seul tout l’espoir de la Méditerranée sans le savoir. Même si ma croisière m’aura fait rencontrer beaucoup trop de plastiques, je me sens revigoré d’espoir avec cette rencontre.
19h : la mer de diamants scintille de mille feux et transporte avec elle de doux souvenirs lointains. Cela m’apaise mais me serre le cœur.
Le vent est bon, il souffle 18 nœuds maintenant et me permet de reprendre le petit retard pris de 2h à moins de 4 nœuds. Il est temps de se faire à dîner… Riz, jambon, courgette… Je partage ma pitence avec mon petit frère de destin.
Il quémande encore, préférant ce qui vient de ma main à ce qu’il y a dans sa gamelle. Peut être des souvenirs de son ancienne vie de clochard à mendier dans les restos de la nourriture plus fraîche que celle trouvée dans les poubelles de pêcheurs.
Je ne suis ni son dieu ni son maître. Car ce n’est ni ma création ni mon esclave. Là aussi je participe de la même philosophie à chaque instant de ma vie, ni dieu ni maître, ni chef !
J’observe chaque minute du soleil qui disparaît. Il passe de l’or de mille éclats au rouge sang. Babar fonce vers ce faux amer (point remarquable aidant à la navigation) si attirant. L’horizon n’est qu’une ligne obssessionnelle pour lui. Il veut voir ce qu’il y a au-delà, quête chimérique mais pourtant si essentielle. Je pars vers lui… À cet instant je pense à Alex, mon mentor navigateur, qui m’a un jour dit, « quand la quête de l’horizon te prendra, plus jamais elle ne te quittera, aller voir au-delà deviendra une obsession ». Lui est allé au-delà et a navigué loin à plusieurs reprises. Un grand marin et un philosophe de la mer.
Un souffle d’air chaud accompagne ce moment unique. Je savoure, je m’enivre de ce spectacle puissant et magique. Quand tout à coup, dans le sillage de la lumière rouge du couchant à 300m, une énorme masse sombre se détache à intervalles réguliers. C’est une baleine !!! Je ne peux la photographier mais à quoi bon. Je ne suis pas un touriste ici, juste un invité et un invité se tient bien… Elle avance perpendiculairement entre moi et le couchant. Lentement. C’est si beau que je chiale comme un môme. Ou devrais je dire comme un être humain. Puis elle sonde et disparaît. Merci…
Que demander d’autre après ça ? Durant la traversée aller, c’est une baleine morte que j’ai croisé, ici bien vivante et belle. L’espoir !
La nuit arrive lentement mais sûrement, une demi lune m’éclaire de sa lumière phantomatique et donne à la mer des teintes métalliques. Je me laisse aller à cette tonalité donnée par la nuit en mer, presque comme un songe avec la musique du vent, du clapot et du sillage du bateau. Tout est à sa place dans cette horlogerie stellaire. Une belle nuit étoilée me sert de voûte comme pour me protéger et préserver le moment.
1h : à environ 3 milles une tracée lumineuse qui part du demi sol pour monter dans les airs. Une hallucination ? Une étoile filante ? Je ne laisse aucune réflexion troubler mon jugement. Et si c’était un signal de détresse. La lune a disparu, il fait noir comme dans un four, dans le lointain je perçois des feux de navires, faibles comme enveloppés d’humidité. Je prends la VHF et j’appelle le CrossMed sur le Canal 16 : »CrossMed, CrossMed, CrossMed, ici voilier Babar (oui je sais dans un moment aussi tragique, c’est un peu ridicule…), Bravo, Alpha, Bravo, Alpha, Roméo je signale sur mon tribord à environ 3 milles une fusée de détresse, ma position, mon cap, ma vitesse en attente d’instructions de votre part ». Immédiatement un homme de veille me répond et me demande plus de précisions. Après cela on passe sur un autre canal et il me demande de me rendre sur zone, effectuer une ronde et les rappeler pour rendre compte de la situation. Ni une ni deux je change de cap, modifie la voilure et branche le moteur pour aller plus vite à une allure moins favorable pour le vent. Je scrute à m’abîmer les yeux. Rien, pas un son à part le vent et la mer, pas de lumière… Au bout d’un moment que j’estime à plus d’une heure, le Cross me dit que je peux reprendre ma route. Soit j’ai halluciné, soit c’étaient des cons à bord d’un bateau qui ont voulu déconner. Oui c’est con mais ça arrive…
Je reprends la monotonie de la route non sans une pointe d’angoisse suite à cet épisode.
5h30 : l’aube se fait sentir à l’est avec ses lumières caractéristiques et surtout quelque chose en nous qui réchauffe et enlève la fatigue de la nuit.
Je me prépare mon petit dej. Solenzu à, bien sûr, entendu et me tourne autour.
Le vent s’est calmé mais reste suffisant pour me porter à plus de 4 nœuds. On prend tous les deux le petit dej sur le pont dans le cockpit, plus complices que jamais après cette expérience. Au loin on observe la côte varoise qui se dessine.
Le vent se met à refuser et je dois tirer des bords jusqu’aux îles du Levant. Le jour de terre arrive et avec lui les hordes de bateaux venant de tout horizon. Me revoilà plongé brutalement dans le monde des hommes. La mer est un véritable bouillon avec le ballet incessant des centaines de bateaux qui vont et viennent. C’est abominable, ce coin est atroce. Le sommeil me prend tout à coup et je décide de mouiller l’ancre dans la baie d’Alycastre sur Porquerolles envahie de bateaux. Je me mets bien à l’écart et m’octroie un déjeuner et une sieste de 1h30 le temps de repartir.
Et j’arrive ensuite à Toulon sur la vieille darse à 19h après avoir quitté la Corse la veille à 10h. Mais ce n’est pas terminé, je dois préparer l’arrivée de ma douce dans le soirée. Je m’absente du bateau pour aller faire de la lessive de draps et je laisse Solenzu seul avec la porte de la descente juste entrouverte. Je vois ses petits yeux qui me regardent partir. En revenant, je constate que Solenzu a disparu ! Angoisse. Je demande à des gens sur le ponton et ces derniers m’indiquent qu’un chat se balade de bateaux en bateaux. Et je le vois vers la capitainerie à reprendre ses mauvaises habitudes de chat errant. Je le prends rapidement dans mes bras et de suite il se met à ronronner… Je suis ému…
Quelques heures après, j’accueille enfin ma douce compagne à bord pour un nouveau week-end sur la côte. Je suis heureux.
Fin de la traversée totalement effectuée à la voile…
Jolie traversée Laurent.
Bonne fin de WE auprès de ta douce
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Merci Sophie ! Gros bisous
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