Vendredi 16 et samedi 17 août
Départ, ce matin, de Marseille, pour rallier mon port d’attache Saint Cyprien en Catalogne Nord et mettre un terme à cette belle croisière, toujours plus initiatique. Car il faut bien rentrer pour pouvoir repartir. Nous avons appareillé il y a déjà quelques heures avec Solenzu, précisément à 9h depuis ce sympathique et confortable club nautique du vieux port de Marseille.
La houle est tenace. Une houle d’ouest, lourde et pénible qui me rappelle les raisons météo de mon arrêt de plusieurs jours au sein de la cité phocéenne. Le vent aussi persiste et m’expédie au beau milieu du golfe du Lion avec 15 à 20 nœuds de sa puissance. Je suis un peu inquiet pour mon compagnon qui semble souffrir du mal de mer. Apathique, je l’ai vu traîner à sa gamelle pour ensuite s’allonger lourdement sur la table à cartes. Doucement je l’ai ramené à sa couchette (la notre…). À la gîte il sera plus confortable.
La mer ne me plaît guère par ici, elle est verte, trouble et n’inspire pas confiance.
15h : notre cap est au 200 degré, autrement dit le vent d’ouest continue à nous pousser au sud alors que nous devons aller au sud ouest. C’est à ce moment que commence la quête du temps. Le temps, en tant que variable météo semble capricieux et versatile. Nous sommes dans une zone dépressionnaire et un vent de sud va bientôt arriver (enfin c’est ce qui est prévu par les gribs, ces modèles de prévision mathématiques très utiles aux navigateurs car souvent très précis). Sa force ? Plutôt inconnu avec certitude. Le temps, variable d’espace/temps va désormais faire son office. Vais je arriver à temps à St Cyprien avant une bascule de sud-est forte prévue samedi ?
Le sillage d’un avion dans le ciel me fait prendre conscience de la relativité du temps et de l’espace. Ceux-là, là-haut, pour qui 1h de retard sur le planning des vacances est un stress catastrophique. Pour moi, 1h n’est qu’un espace entre 2 points sur une carte de navigation.
Face à Babar, un autre voilier, qui semble prendre la même route que nous, tente un virement de bord, sûrement pour voir si son cap lui permet de rejoindre son port situé sur la côte Languedocienne. Peine perdue, ce sont le temps et le vent qui décident, et ces deux là lui ont fait prendre conscience qu’il est trop tôt pour virer de bord. Dans la vie c’est souvent le timing qui dicte sa loi, trop tôt ou trop tard…
16h : nous sommes toujours au près serré par 15 nœuds de vent. Le bateau accuse une belle gîte et tout est inconfortable à bord depuis le départ. Se déplacer demande un effort, prendre une bouteille d’eau aussi. Quelque part, j’envie Solenzu qui dort comme une enclume. Je culpabilise de lui infliger cette situation mais je pense lui avoir donné le moindre des 2 maux : abandonné et affamé sur son port ou bien nourri, des câlins et un peu d’inconfort de temps en temps.
Je croise un porte container de la MSC après 2 autres de la CMA CGM. En parlant de temps, en voilà un qui n’en a pas… de temps… à perdre. Ce sont les aiguilles du temps de l’économie mondiale, par eux que transite 90% des échanges commerciaux. Le jour où ces aiguilles s’arrêteront… Aïe.
18h : j’ai viré de bord au fin fond du golfe du Lion. Je fais maintenant cap vers le 290 degrés, autrement dit entre Narbonne et Agde. Décidément, le vent refuse que je rentre au pays. Ma Catalogne me manque. Cela fait longtemps que je n’ai pas vu le Canigo ni foulé ma terre. Mes parents aussi me manquent. Et ma belle aussi, terriblement, douloureusement. Elle est ma seule raison de retourner sur Paris, car je n’aime pas le reste ni les parisiens. Je ne les aime pas. Trop superficiels, trop cons finalement. Ils parlent tout le temps et ne peuvent pas s’empêcher de donner un avis sur tout et n’importe quoi.
La mer est toujours houleuse et Babar tape dans les vagues avec fracas. Je suis allé voir mon compagnon et me suis allongé un peu à ses côtés. Il ronronnait.
18h30 : alors que le vent fraichit un peu plus (en langage marin ça veut dire qu’il forçit) me permettant d’afficher une belle moyenne, j’assiste au spectacle de la mer avec des chasses de thons et de dauphins communs. Vu comme ça s’active là-dessous ça doit être la grande bouffe. Ça me donne faim ! Je rêve d’une grillade catalane…
La nuit arrive. Le vent et la mer ne m’invitent guère à me préparer un bon petit plat… Je vais me contenter de bananes et biscuits… Le régime sec de la brafougne !
Je contemple une fois de plus la beauté des éléments. Tout à coup je sursaute ! Des dauphins sautent dans les vagues à tribord et suivent le bateau ! Leur fuselage étincelant comme l’armure de chevaliers des abysses brille sous la lune.
2h : le vent faiblit et une immense humidité s’abat sur le bateau jusqu’à créer une pluie microscopique. C’est alors que je reçois la visite de Solenzu n’en pouvant plus d’être seul en bas. Il vient se blottir sur moi assis dans le cockpit. Son poil est tout ebouriffé et je crois qu’il a froid. Son ronron est si apaisant, c’est un fantastique compagnon. D’ailleurs à ce sujet j’ai rencontré hier soir sur le ponton de Marseille un gars bien sympathique qui m’a conté Florence Artaud qu’il a connu et notamment son chat, adopté dans des conditions similaires à moi mais au Maroc. J’ai aussi apprécié sa bienveillance en me mettant en garde sur la traversée du golfe du lion dans les conditions prévues. Merci à toi !
D’un coup c’est le black-out. L’alarme retentit. Le pilote a décroché et les instruments sont muets. Je descends dans la cabine remettre tout en route. 2 explications possibles : l’excès d’humidité ou les batteries qui commencent à devenir faibles par excès de voile sans être rechargées. Je mets le moteur pour les satisfaire. Bien inspiré, car c’est à ce moment que le vent tomba d’un coup. La mer est devenue un grand lac avec juste une petite respiration qui lui fait gonfler la poitrine.
Je commence à bien distinguer les lumières de ma côte Catalane et le phare du Cap de Creus, puissant et bienveillant avec ses 3 petits éclats rapides et espiègles. Puis l’autre, son frère, celui du Cap Bear, franc du collier avec une lumière douce et 3 éclats séparés de 4 secondes. Je connais si bien cette côte, ses criques, ses végétations, que je pourrais les dessiner.
J’arrive pile par le large, après avoir fait une grande boucle au fond du Golfe du Lion depuis Marseille. 23 heures après le départ. Pas trop mal pour 110 milles. Je n’aurais mis le moteur que pour les derniers 20 milles. Cette navigation a été très solitaire car durant toute la nuit je n’ai croisé aucun navire.
Je ressents une joie immense à rentrer chez moi… La Catalogne. Elle se fait sentir à moi à 20 milles avec une odeur de terre et de garrigue qui monte à mes narines.
L’odyssée 2019 se clôture ainsi. Elle fut belle et porteuse à jamais de souvenirs puissants et partagés avec des gens que j’aime. Ma quête du temps et de sens auront été satisfaits tant par le vent qui m’aura toujours été bénéfique que par chaque minute passée à bord de ce fabuleux navire. Du temps partagé avec des gens de rencontre et des personnes aimés chères à mon cœur et à mon âme. Je crois aussi avoir découvert un petit trésor, un secret accessible uniquement aux navigateurs en solitaire. Je vais le préserver et m’en servir bientôt…
Doriane, Nathalie, Jean-Christophe, Roman, Noémie, Yohan, Alex, Solenzu… Je vous aime tous !
Je n’oublie pas non plus les nombreuses rencontres d’escales avec une mention spéciale à nos nouveaux amici italiani !!! Ils se reconnaîtront, tanti baci a lei. Ci vediamo a Parigi per il Nautic.
Un repos bien mérité ! 😎