Stromboli

Mercredi 15 juillet 2020

Il est 10h30, nous partons pour une étape cruciale de notre voyage, les îles éoliennes et en premier, la plus symbolique de toutes, le Stromboli. La météo annonce un régime dépressionnaire avec un peu de vent et surtout des cellules orageuses entre lesquelles il va falloir louvoyer.

Le vent est très bon à la sortie du port et nous longeons cette très jolie île d’Ischia. Par la mer nous pouvons apprécier ses falaises abruptes et sa végétation de vignes. Nous sommes au près et la foulée est bonne pour traverser la fameuse baie de Napoli. Au loin, fantomatique, menaçant, il Vesuvio, théâtre de tant de malheurs antiques mais aussi père des beautés uniques de la région. C’est ainsi la destinée d’un volcan, par le chaos et la destruction, il apporte aussi la vie en créant de nouvelles terres et en apportant un terreau fertile.

Il Vesuvio

Nous dégustons notre chance en prenant notre déjeuner au large face à l’une des plus baies au monde. Bientôt nous apercevons Capri et la côte de Sorrento. Des airs de chansons connues viennent à nous… Capri c’est fini, Torna Sorrento, o sole mio etc… Des clichés…

Le vent nous porte toujours et nous voici à longer la si belle île de Capri. Cette île est d’un attrait irrésistible depuis l’antiquité où nombre de familles patriciennes mais aussi des empereurs en avaient fait leur résidence d’été. Néron et Tibère y donnaient libre court à leurs excès. Cette île a aussi une place particulière pour moi y étant allé plusieurs fois avec mes parents d’enfant à adolescent. Vu du large, l’île est un gros et haut rocher planté dans la mer assez inhospitalier.

Une fois Capri dépassé nous allons plus au large, vers notre route. Nous voyons au loin la côte Amalfitaine. J’aurais aimé y aller mais nous avons encore du chemin et nous devons renoncer à tout faire. De plus, je me méfie des zones avec beaucoup de monde.

Et d’un coup, alors que la météo prévoyait encore un flux d’est porteur, Eole commence à se jouer de nous. Après 40 milles effectués à la voile, le vent s’éteint et nous oblige à faire route au moteur. Babar n’est pas performant à ce régime, il n’aime que le vent et nous allons péniblement à 3.5 noeuds. La déprime commence à s’installer à bord. Et si nous devions faire les 90 milles restant au moteur ? Je commence à y penser sérieusement car nous sommes entre 2 zones orageuses dont j’aperçois au loin dans la pénombre, les stigmates avec des éclairs lézardant le ciel. À l’époque de la marine à voile nous serions encalminés à attendre le vent et sujet aux mutineries de l’équipage devenu fou.

Nous allons essayer de nous remonter le moral avec la cuisine. Au menu apéro puis penne sauce tomate. Le tout dégusté en regardant la mer au large. Tout à coup je rencontre le même problème que lors de la traversée vers la Corse, mes feux de route s’éteignent à cause des coups sur le gréement dus à la houle sans vent. Heureusement j’avais prévu l’incident et j’installe des feux de secours sur le balcon avant.

Pour la première fois, nous commençons avec Doriane un petit régime de quarts. Elle va dormir, puis prendra celui de minuit. J’avoue que, au vu des conditions merdiques, je vais la laisser dormir. Je décide d’affaler la grand voile qui bat sans cesse pour la préserver. La houle avec le moteur, c’est l’enfer. Vers 2h, alors que je devais réveiller Doriane depuis minuit, elle monte sur le pont pour me relayer. À ce moment nous pouvons voir dans le sillage du bateau du plancton phosphorescent, magique. Heureusement qu’il y a ce spectacle car la nuit est noire et la mer aussi.

1h30 plus tard je suis réveillé par une très forte houle qui balance le bateau de tous les côtés. Elle n’était pas prévue celle là. Je m’interroge. D’où vient elle ? Est elle le signe d’un mauvais temps qui arrive sur nous ? Je commence à comprendre, il s’agit de la conséquence des orages entre lesquels nous sommes passés mais qui ont du générer des vents forts. Résultat nous avons une houle croisée qui rend la navigation absolument insupportable. Et au vu de notre position, impossible de rallier la côte. Nous sommes trop loin. Il faut serrer les dents et avancer, toujours.

Malgré les conditions, nous devons manger pour tenir bon et nous arrivons à nous faire un petit déjeuner. C’est la déprime totale à bord. Toujours pas de vent, cette houle tenace et le bruit et l’odeur du moteur. J’enrage. C’est la dernière fois que je me fais avoir de la sorte. La prochaine fois, soit on part avec du vent établi, soit on part pas. Soit on fait des navigations côtières avec les brises thermiques. Ras le bol !

Tout à coup, apparaissant dans la brume de chaleur au lointain, le dôme du Stromboli. Majestueux, solitaire planté dans la mer, il semble imposer au monde son autorité.

La navigation est lente et longue et nous pouvons apprécier au fil du temps les contours parfaits de cette île volcan. Postés tous les 3, assis à l’avant, nous écoutons de la belle musique comme pour renforcer le souvenir de ce moment partagé singulier. Tout à coup, alors que nous étions absorbés par la vision de l’île de la côte Sciara del Fuoco, celle par laquelle s’écoule la lave, des dauphins viennent jouer à l’étrave. Incroyable. Ils sautent devant nous avec, en arrière plan, le Stromboli. Unique. Solenzu les voit et semble intrigué au mieux, inquiet au pire…

Nous arrivons en vue proche de l’île alors que la pénombre commence à s’installer. C’est alors que nous assistons depuis la mer à notre première explosion. Une gerbe de feu suivie d’un grognement. À cette distance, c’est à peine croyable.

Nous arrivons enfin sur le plan de mouillage, fatigués mais excités d’être là. L’accueil est déjà extraordinaire avec Valentina à la Vhf et Maurizio qui vient nous accueillir et nous aider à prendre une bouée par la nuit naissante. Nous admirons la vue sur ce petit village aux maisons blanches blotties comme pour se protéger des colères du Dieu local. Celui ci nous toise du regard avec la suspicion vis à vis de nouveaux venus. Nous voyons son sommet rougoyant qui culmine à 900m. Nous nous couchons l’esprit plein de belles images. Et surtout je suis fier de mon équipage et en particulier Doriane qui a gagné ses galons de 1er lieutenant du bord. Solenzu lui, reste 1er matelot qualifié (faut pas déconner, il a ronqué toute la nuit…).

Vendredi 17 juillet

Une houle, encore elle, pourtant absente à notre arrivée hier soir, nous balotte au matin mais n’arrive pas à écourter notre nuit réparatrice de la traversée.

Voyez vous le truc bizarre sur la photo ? Testez votre sens marin…

Nous avons hâte de partir à la découverte de cette île. Une fois à terre nous sommes surpris de sa plage : des cailloux volcaniques noirs suivis d’une plage de sable noir ébène. On a l’impression d’être sur une île volcanique perdue du Pacifique, très peu de touristes, 3 bateaux au mouillage et une langueur douce dans l’air. Nous commençons par déambuler dans les petites rues blanches, étroites et sinueuses du village jusqu’à un bistrot vue sur mer pour prendre un café et un canolo (fameux dolce Siciliano).

On se sent différent ici. Comme si la présence inquiétante et en même temps immuable du volcan exerçait sur nous une influence apaisante et rassurante. Comme un sens donné à toute chose. Un commencement, un aboutissement et une fin, une relativité de l’existence qui, finalement, donne un sens que nous avons perdu. Je pense vraiment que c’est ce qui anime, comme une défiance, les habitants d’ici, à la fois esclaves du volcan mais aussi maîtres de leur destin, en équilibre, en harmonie. Chaque explosion, au rythme d’environ toutes les 30mn sonne comme un rappel du maître. On l’oublie et puis il se rappelle à nous. Et, petit à petit, comme un syndrome de Stockholm, on finit par ressentir de l’amour envers lui, en tout cas un sentiment d’attachement et de respect.

Nous voulions faire l’ascension mais toute montée au sommet est interdite, même avec un guide. Seule la partie à 290m est accessible. Nous prévoyons d’y aller demain car, et oui, nous avons décidé d’y rester 3 nuits. En attendant nous sommes invités ce soir au petit club de la Marina pour un apéritif dînatoire. Après la rituelique douche de mer où, un peu avant, Doriane a subi les assauts d’une méduse, nous nous rendons à la soirée. Nous sommes accueillis avec une rare hospitalité par Valentina, la boss de la Marina. Le verre de vino bianco face à la mer est un moment d’exception. Nous pouvons voir la communauté de l’île à l’œuvre, fraternité, sympathie, prévenance, c’est le paradis ici.

Samedi 18 juillet

Programme de la journée : nettoyage de l’orage de la nuit avec plein de cendres sur Babar… En fin de journée vers 19h nous commençons l’ascension du volcan par le chemin le moins touristique et le plus physique. Nous traversons un paysage parfois désolé des tourments du volcan.

Plus nous montons plus nous nous sentons en territoire hostile. Comme Ulysse arrivant au Styx, le terrain est fait de cendre, poussière et pierres volcaniques. Quelques végétations se développent par endroit avec luxuriance. Nous arrivons bientôt à un cimetière abandonné aux tombes cabossées. Ambiance étrange d’autant que, avec régularité, les explosions se font plus proches.

Au bout de 1h30 nous voici enfin au point d’observation le plus haut autorisé. Nous sortons de notre sac un petit repas et une petite bouteille de myrte Corse pour fêter l’événement quand tout à coup une belle explosion retentie. Nous allons en voir plusieurs avant de redescendre sous nuit noire.

Boum

Nous rentrons au bateau, fatigués après une belle petite rando de 2h30… Et crades comme des cochons, obligés de se doucher à nouveau…

5h du matin : Apocalypse now. Une énorme explosion d’une grande violence nous sort violemment de notre sommeil. Nous sortons sur le pont hagards et incrédules face à une explosion immense du volcan. Une grande gerbe de feu s’est abattue tout autour du sommet et sur le versant pourtant habituellement préservé. C’est comme si une grande bouteille de champagne avait pété. Des incendies ont d’ailleurs commencé à prendre dans la végétation. Rapidement une gigantesque colonne de fumée commence à se former. Nous ne savons quoi faire, partir, tout fermer ? On regarde c’est tout. On pense à cet instant aux peuples qui ont eu à subir cette colère de façon dramatique. Pompei. On se sent paralysé, comme un lapin pris dans les phares d’une voiture. On ne peut rien faire. Soit la colère se calme et reste clémente soit elle est fatale. Dans les 2 cas on reste comme des cons. Allez retrouver le sommeil après ça…

Bon à savoir :

Je conseille le mouillage organisé sur bouées. L’accueil est excellent et, les fonds étant incertains, c’est la
garantie de se sentir en sécurité. Mais attention, l’endroit est rouleur…

Les spécialités de l’île : capres et tomates séchées.

Une réflexion sur “Stromboli

  1. sylviedonini

    Qui aurait imaginer que vous fouleriez le sol d’une ile volcanique dont le volcan est en activité et pas n’importe laquelle STROMBOLI la plus importante de la méditerranée.
    Et surtout que vous vous approcheriez si près du volcan quelques heures a peine avant une éruption d’une telle importance.
    C’est non seulement surréaliste mais courageux et unique dans une vie.
    Et que dire de plus de ses habitants dont vous avez fait parti pendant 3 jours et qui comme tu le décris très bien semblent si en harmonie totale avec le volcan qui dicte leur mode de vie.
    Bravo pour cette narration toujours si émouvante. Je pense que cette expérience que vous vivez restera en vous et vous apportera force et sagesse.

    On vous aime Sylvie Robert

    J’aime

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