Un morceau de Calabre

Mardi 28 juillet 2020

Oui il y a la tristement célèbre N’Drangheta et ses actions visibles un peu partout avec sa passion pour la promotion immobilière non terminée pour détourner les fonds, mais il y a surtout un peuple honnête, chaleureux, fier dans le bon sens du terme, accueillant, timide. Ce sont ces gens et la beauté sauvage de ce pays que l’on rencontre tout au long de cette croisière autour de la Calabre. Nous avons véritablement le coup de cœur pour cette région méconnue d’Italie.

Nous partons de Reggio après une belle nuit réparatrice à l’hôtel avec un vent fort du nord qui s’engouffre dans le détroit de Messine et accélère fortement jusqu’à loin dans la mer Ionienne. Ça y est le mot est lâché… La mer Ionienne ! Nous y voilà après 2 mois de navigation du Golfe du Lion puis à travers la mer Thyrenienne et jusqu’aux portes de la Grèce. La mer est magnifique par ici, peu houleuse malgré le vent. Nous faisons des pointes à près de 10 noeuds en partant dans les surfs sur les vagues du vent combinées au courant. Nous voyons sur tribord l’Etna, cerbère de la Sicile, dont des fumées indiquent son activité. Je distingue au loin Taormina que j’aurais aimé visiter mais la Grèce nous attend.

La côte Sud de la Calabre

Nous longeons la côte la plus au sud de la péninsule italienne à travers un paysage austère mais d’une beauté indiscutable. De la roche, des montagnes, peu de végétation et surtout, des petits villages perchés sur des éperons certainement pour se protéger d’attaques à une époque lointaine. Nous arrivons à Bova marina, du nom d’un de ces jolis village perchés. Je mouille l’ancre dans une eau d’une rare clarté et douce comme du velours. Tout est doux dans ce pays. La nuit enveloppe doucement et en silence cette côte aride. Dans les montagnes se dessinent les villages avec leur éclairage chaleureux.

Bon à savoir :

Bova Marina est un excellent mouillage mais un peu rouleur comme tout endroit ouvert au large.

Mercredi 29 juillet

En ce matin, la mer est un miroir et nous levons l’ancre sans effort direction le port de Rocello Ionica. Le soleil donne à la mer son scintillement de diamant matinal. Au loin une barque de pêcheurs glisse doucement comme un mirage. Tout à coup des dauphins ! J’appelle vite Doriane qui somnolait encore dans la cabine avant. C’est un festival ! Tout un clan, au moins 10 individus dont un très grand mâle qui doit bien faire plus de 2 mètres. Ils jouent à l’étrave, sautant, virevoltant, nous montrant leur ventre blanc et nous regardant d’un œil espiègle. Le manège dure ainsi 30 minutes. 30 minutes de communication sans dialogue avec des mammifères sauvages. Depuis notre entrée dans la mer Ionienne, cela fait 2 fois que l’on fait la rencontre de dauphins, c’est presque rassurant.

Après cette rencontre divine, le vent vient plus vers le grand largue et je décide d’envoyer le spi qui ne nous quittera plus jusqu’à l’arrivée à Rocello. La mer est mi émeraude, mi turquoise ici, dans tous les cas d’une clarté rarement observée. Nous n’avons toujours croisé aucun bateau à moteur si ce n’est une petite embarcation avec un couple à bord, venus à notre rencontre pour nous saluer. Le passage de voilier doit être particulièrement rare dans ces parages.

Le port est là aussi d’une grande douceur. La chaleur est terrible mais tout est calme, peu de monde, un personnel adorable ne sachant que faire pour que nous soyons à l’aise. On m’octroie à nouveau du titre de Commandante… Une petite forêt de pins se trouve à la lisière du petit port avec, en son sein un bistrot, un petit commerce et la Capitainerie. Tout nous rapproche de la Grèce… D’ailleurs, nous sommes ici en terre de la Magna Grecia, la grande Grèce antique.

Une personne de l’hôtel où nous avons réservé une chambre vient nous récupérer avec sa voiture personnelle pour nous amener à l’hôtel. Encore une fois tout le monde est très gentil et elles sont même prêtes à nous accompagner au restaurant le soir. C’est presque gênant pour nous autres, français, habitués à se méfier de tant de générosité, comme si nous devions nous acquitter de quelque retour. Mais ce n’est pas le cas ici, l’hospitalité de ce peuple est réelle. Nous préférons néanmoins nous acheter un petit apéro repas au supermarché à consommer dans notre grande chambre climatisée. Le quartier n’est pas très attrayant avec des chantiers non terminés (Mafia…) et très populaire mais non dénué d’un certain charme.

Bon à savoir :

La marina de Rocello Ionica est un endroit de calme et d’un accueil de qualité. Le tarif est doux (35 €) et
quelques services sont à proximité avec une petite épicerie sur le port.

Je conseille l’hôtel Castelvetere dont l’accueil fut très sympathique.

Jeudi 30 juillet

Nous avons écrasé toute la nuit et sommes bien reposés (quoique…) pour repartir pour une nav qui doit nous porter vers Crotone. Le vent est faible mais je continuer à persister et à m’abstenir du moteur. Nous sommes en quête d’un peu d’ombre sur le bateau et c’est une quête pénible. Le soleil est écrasant et prend un malin plaisir à trouver un interstice pour brûler un bout de peau. Au large du Cap Azzuro je décide d’aller prendre une bouée dans la réserve marine pour faire une pause et surtout essayer de passer la nuit plus au frais que dans un port étouffant. Le vent du sud souffle fort mais nous arrivons sans peine à nous amarrer. Étrange cette bouée toute seule libre. Bah tant pis, le vent vient du sud et nous sommes protégés par une petite falaise.

Tranquille Émile

Samedi à 00h30… Un vent fou vient de commencer à souffler du nord, autrement dit nous sommes pleinement exposés à sa puissance et à la mer que celui ci lève soudainement. Les vagues soulèvent le bateau par à coups et le transforment en machine à laver en mode essorage. Ni une ni deux nous décidons d’appareiller en catastrophe. Cap sur le port de Crotone situé à 3 milles d’ici. Le vent est si fort que, malgré le moteur à plus de 2000 tours/minute nous n’allons qu’à 2 noeuds. Je déteste me faire surprendre. Il est temps de faire une pause dans la croisière car la fatigue engendre de mauvais diagnostic et donc de mauvaises décisions. Une fois devant le port de Crotone nous sommes à l’abri et mouillons l’ancre dans l’avant port avant d’aller au petit matin prendre une place au port. Nous décidons de rester 2 nuits en location d’un grand et charmant appartement situé dans le vieux Crotone. Nous avons, encore une fois, le coup de cœur. Cette ville balnéaire est d’un charme désuet, ancien, tout me fait penser à L’Escala d’il y a 40 ans quand je passais mes vacances d’été chez mes grands parents. Tout le monde est adorable, non encore gangréné par le diable du tourisme. En allant boire un café dans un Bistrot pittoresque du port, des gens nous parlent spontanément et nous invitent à venir passer la soirée à une Salumeria (une sorte d’épicerie fine). Nous verrons. En attendant repos.

Le soir arrive et nous sortons nous balader en quête d’un endroit pour dîner. Nous passons devant la fameuse Salumeria mais n’osons pas y entrer car il y a pas mal de monde sans aucune mesure barrière contre le covid. Quel regret… Quelle saloperie. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de nous exposer durant la croisière. Près du port, sur une petite piazzeta sans prétention, un petit havre de paix apparaît. Un restaurant qui a aménagé une terrasse entourée de verdure et de lampions. La musique est bien choisie et tout est doux et apaisant. Nous passons peut être la plus belle soirée de la croisière parlant de projets et goûtant à notre privilège d’être là.

Lundi 3 août 2020

Dimanche nous avons passé la journée à nous détendre. Une décision a été prise. Il est temps de temporiser un peu au vu de la santé mentale et physique de l’équipage (et j’inclus aussi Solenzu que j’ai rarement vu aussi heureux que dans cet appartement avec nous.). Mais en tant que skipper je dois aussi penser au bateau et à la suite de la croisière. Il est évident que nous devons nous reposer un peu en dehors du bateau pour mieux le retrouver. La chaleur moite est terrible et Babar devient un peu notre enfer. En même temps pour aller en Grèce, toute proche, il y a 2 options : soit route directe de 140m milles pour une nav de 2 jours, soit une nav en 2 étapes. En allant d’abord dans le sud des Pouilles à Santa Maria di Leuca. Je préfère définitivement la 2e option car je suis trop fatigué pour envisager sereinement une traversée avec une nuit blanche. Problème, pour rejoindre ce port situé au nord Est de Crotone il faut des vents favorables. Or le vent est quasi toujours du nord ici, autrement dit l’assurance d’une navigation compliquée et fatiguante. Une fenêtre, la seule à priori pour longtemps, est lundi. Décision est prise, Doriane part en train à Lecce, moi je pars faire la traversée de 72 milles jusqu’à Santa Maria di Leuca avec Solenzu. Je loue une voiture sur place et la rejoins pour 2 nuits. Ça l’air d’un plan bien huilé, reste à voir si l’huile est de qualité…

Le ventre un peu noué de la nav qui s’annonce musclée, de sa durée et de laisser ma Doriane, je quitte le port par vent léger. A l’approche des singulières plate-forme pétrolières de la baie, le vent passe sud et monte en puissance. Au bout d’une heure il donne la tonalité en oscillant entre 18 et 25 noeuds. La mer elle aussi grimpe vite. Je fais un cap un peu Est pour essayer de contourner le gros du gros temps qui va semble t il se focaliser dans le golfe de Tarento avec du 30 noeuds au compteur.

Ciao Calabria

Le vent est fort et la mer bien formée. Heureusement que j’avais déjà préparé des sanwiches car impossible de se préparer à manger dans ces conditions. Tout à coup, comme pour me soutenir dans cette petite épreuve, 4 gros dauphins viennent me saluer. Salut les gars, tutto a posto ! Les heures défilent inlassablement, le vent est soutenu et les vagues viennent se fracasser sur le flanc du bateau, rendant le confort à bord plus que relatif. Mais, preuve que ce bateau est un bon navire, je ne me sens jamais en insécurité. Je ne touche à rien, c’est le pilote qui bosse. Parti à 8h, j’arrive à Santa Maria di Leuca à 18h30 après une excellente mais fatiguante navigation. La mer est totalement chaotique à l’approche du port et je dois affaler la voile en jouant à l’équilibriste. Dans l’avant port, une vision de cauchemar… Un voilier qui a été drossé à la côte, gît, mort sur des rochers avec la mer qui brise sous lui. Que s’est il passé ? Panne de moteur et l’équipage n’a pas eu le temps d’envoyer la toile ? Peut être était il au mouillage et l’ancre a dérapé ? Dans tous les cas cela prouve qu’il faut rester vigilant à chaque instant et savoir réagir vite.

J’arrive enfin à une place au port et après 2 bonnes bières au bistrot et une douche au tuyau d’arrosage sur le pont, je retrouve un peu mes esprits. Cela fait maintenant 2 mois que je suis sous tension quasi permanente et il me faut absolument faire une pause, au
risque de s’épuiser. Je vais rejoindre Doriane sur Lecce pour nous reposer plusieurs jours et on verra pour la suite.

Bon à savoir :

Crotone : j’ai choisi d’aller à la Lega Navale de Crotone. Accueil quasi inexistant mais tarifs doux (20 €).
Je conseille le restaurant Salvia Menta e Rosmarino. Délicieux et accueil excellent. L’endroit est un petit havre
de paix sur une place mais entouré d’une haie de verdure. Se laisser guider par les propositions du patron.

Santa Marina di Leuca : ici nous retrouvons les tarifs habituels de l’Italie (70 € la nuit)… mais c’est
une grande marina avec tout le confort. L’organisation laisse tout de même à désirer et j’ai dû insister
pour ne pas être déplacé.

Lecce : une magnifique cité qui vaut le détour. On y mange très bien.

Une réflexion sur “Un morceau de Calabre

  1. sylviedonini

    Alors moi a ce moment de votre odyssée car on peut appeler votre croisière comme cela…Je pense qu’il faut réaliser d’où vous venez ce qui d’ailleurs te vaut le titre de commandant car en voyant ton fanion ils réalisent le parcourt. Votre fatigue est la conséquence des milles parcourus de la chaleur dans un bateau comme « Babar » difficile bien qu’il vous donne le meilleur de lui même dans pas mal de situation.
    Oui vous êtes courageux tous les trois, et nous vous encourageons a terminer cette belle odyssée qui plus tard vous laissera que de bons souvenirs surtout dans l’époque que nous vivons.
    Ceci dit ta description de la calabre et de ses habitants est magnifique et tu leur rend hommage de belle manière. Et que dire de ta traversée de Crotone a santa maria di lucca
    difficile pour toi a bien des égards.
    Merci les enfants et comme on dit chez nous « Sempre en davant maî morirem »

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