Samedi 8 août 2020
Le jour se lève sur le port de Santa Maria di Leuca. Je suis seul. Enfin 1.5… Car le fidèle matelot, malgré lui, Solenzu, est toujours là. Doriane est repartie en France faire une pause méritée et voir sa famille.
Le temps d’aller rendre l’adaptateur électrique à la Capitainerie et je quitte le port, il est 8h45. Cap sur la Grèce, tant rêvée, tant attendue. J’avais toujours dit que j’irai à la retraite ou légèrement avant, en envoyant chier le boulot et tout le reste. Et puis le destin et une belle rencontre (… Qui se reconnaîtra) m’ont donné l’opportunité de réaliser ce rêve dans la force de l’âge. D’ailleurs ce voyage aurait été particulièrement difficile sur un bateau comme Babar à la soixantaine. Je mets donc cap à l’Est. La météo prévoit un régime de Nord soutenu. C’est effectivement ce qui m’arrive dessus dès le passage du cap le plus au sud des Pouilles qui signe l’entrée dans le canal d’Otrente. La mer est aussi très houleuse et laisse augurer une navigation pénible de 60 milles nautiques. Car je veux aller dans une crique située sur la partie occidentale de l’île de Corfou. La petite île de Othonoi, qui est la plus proche ne me paraît pas sécurisée pour une arrivée dans la soirée au vu des conditions de vent.

Petit à petit la côte italienne disparaît à l’horizon. J’ai un petit pincement au cœur car cela faisait 1 mois et demi que nous étions italiens et nous partons les bagages pleines de souvenirs puissants.
Au loin je distingue un gréement haut avec des phares carrés (voiles carrés sur hunier). Est ce un vieux gréement ? Je prends mes jumelles et je distingue un bateau à l’allure insolite. C’est comme si on avait pris un yacht à moteur et qu’on l’avait affublé de mâts avec des voiles à l’ancienne. Bref il est moche mais singulier.

La mer devient de plus en plus désagréable même si je fonce à près de 7 noeuds au travers. À cette allure la vitesse est bonne mais les vagues viennent cogner le bateau, il monte, il descend, il fait quelques embardées. C’est chiant et fatiguant.


Ça y est je vois les premières îles grecques au bout de 8 heures de mer. L’excitation monte à bord. Hélas, celle ci laisse vite la place à un peu d’inquiétude. De gros nuages menaçants et des éclairs apparaissent droit devant. Je m’en fout, on fonce dans le tas ! Je vais quand même pas changer de route, aller plus au sud et rallonger de 7h la navigation déjà longue de la journée.

Je dépasse l’île d’Othonoi et arrive bientôt à d’autres petites îles proches de l’arrivée. Je peux apprécier, malgré le temps bouché, la beauté de la côte. Des forêts de cyprès, des falaises ocres et, dans la terres, quelques petites maisons. Le front orageux, avec son accélération de vent, est maintenant passé, place à la pétole. 0 vent. Je mets le moteur pour parcourir les derniers 7 milles. C’est déjà trop, ma philosophie de la croisière m’interdit un usage prolongé du moteur. Mais bien sûr il y a une foule d’autres raisons : ça pue, ça fait du bruit, ça accélère mon empreinte carbone, ça n’est pas efficace (sur Babar je vais a 3.8 noeuds à 1800 tours/MN), c’est cher, ça augmente de façon significative la chaleur intérieure du bateau, c’est pas marin car au moteur on va tout droit sans se soucier de la météo, du courant, bref sans réfléchir (on le voit d’ailleurs avec tous les abrutis qui vont à fond l’été).
J’entre progressivement dans la baie de Georgios, protégée par un petit cap. Une fois celui ci doublé, la mer devient un lac, comme si, par enchantement, la houle s’était tue pour me laisser apprécier la quiétude de l’endroit. Le mouillage est vaste, avec du sable et juste quelques voiliers. La baie est protégée pour accueillir durant la nuit un gros vent de 30 noeuds qui devrait durer 2 ou 3h. Je me sens bien et heureux d’être en Grèce après ce long voyage. Même si la solitude m’envahit sans ma Doriane.
Dimanche 9 août
Que c’est beau, que c’est calme. Le jour se lève et ses gros nuages de la veille avec, comme un rideau de théâtre pour me donner le premier acte de la pièce classique qui commence désormais. La baie est vaste et entourée de hautes collines verdoyantes, le lido de plage au sable doré est occupé par quelques petites maisons et bâtiments ici et là mais rien qui ne viendrait gâcher la vision. Je prends mon petit déjeuner devant ce tableau quand d’un coup une dizaine de guêpes débarquent comme une mini armée d’invasion. Craignant pour Solenzu, je lève l’ancre vers l’île de Erikoussa, la plus au nord de l’archipel des Ioniennes. Cette navigation de 11 milles entièrement à la voile me permet d’apprécier la vue d’ensemble du décor. En sortant de la baie je vire entre deux îles et dinstingue en arrière plan les montagnes blanches et dorées du continent. Il s’agit de l’Albanie, située à une poignée de milles d’ici. Un sentiment étrange me prend à la vue de ce pays à l’aspect rude et sauvage. Un pays sortant à peine d’une dictature, une grande pauvreté, si proches. Les frontières sont ainsi faites pour le plus grand malheur des Hommes. Mais au delà de ce destin terrible, les frontières marquent aussi la richesse de la différence, suscitent l’espoir pour certains. Je ne crois pas au melting pot anglo-saxon où l’uniformisation est la donne. Que serait l’odyssée d’Ulysse sans ces peuples différents et autonomes qu’il rencontre durant son voyage. Corfou est l’exemple type d’une île au destin singulier qui en a fait sa beauté d’aujourd’hui. D’ailleurs il est admis que l’île est celle des Phéaciens qui recuillèrent Ulysses pour le ramener à Ithaque, ils furent d’ailleurs punis par Poseidon qui changea leur navire en pierre que l’on peut désormais voir au sud de l’île. Après cette origine mi mythologique mi réelle, on ne sait jamais avec les légendes antiques, Corfou est passée d’indépendante aux mains de la Grèce (avec l’origine de la chute de cette dernière par le déclenchement de la guerre du Peloponnese), des vénitiens, français, anglais, chacun ayant pris soin d’y déposer son particularisme. Tout ceci n’aurait jamais eu lieu sans les frontières et le concert parfois inaudible des nations. Corfou est ainsi à la croisée des chemins, des destins, et reste plantée telle une faucille, dont elle épouse la forme, entre l’Orient et l’Occident. Car quoiqu’on en dise, la Grèce est une porte, un trait d’union entre les peuples de l’Occident, les slaves et les turcs et, au-delà, le moyen Orient. Depuis la Grèce tout est possible et tout est proche. Finalement je ne suis pas loin de la Russie, d’Israël, de l’Égypte, de l’Arabie et la corne d’Afrique. Des senteurs imagées d’encens, de myrrhe, d’épices colorés et d’aventure me titillent l’esprit. Ce sentiment n’existe pas lorsque l’on arrive à la pointe occidentale de l’Europe car, au-delà, ce n’est que l’Amérique, si lointaine, mais dont l’esprit ne charrie aucune chimère ou soif d’aventure. Un jour j’irai en mer Noire, un jour j’irai à Chypre, un jour j’irai en Égypte…
La navigation est très agréable avec un petit vent de l’Est qui me fait gagner assez rapidement ma nouvelle destination.

Depuis la mer, l’île paraît plate avec une vraie petite Marina, des maisons le long de la plage et quelques bateaux au mouillage. Après l’appel à la Capitainerie, me voici amarré pour la première fois en Grèce ! Je ressens un soulagement, un sentiment d’accomplissement et un grand bonheur.

J’ai déjà hâte de rencontrer ce peuple dont on vante souvent l’hospitalité, la gentillesse et une certaine philosophie de vie héritée de leurs ancêtres antiques. Je pars donc en exploration non sans avoir déjeuné dans une fameuse Taverna un tsatziki et un poisson frais avec un bon verre de vin blanc. La note est assez salée, 41€ mais le poisson était beau et de qualité. L’île est un mélange de cyprès, de végétation méditerranéenne, d’arbres fruitiers (citrons, oliviers, figues…), de cultures, de vaches (et oui…) et d’habitations bigarrées parfois en décrépitude.
Les premiers contacts avec les grecs tiennent leurs promesses de gentillesse et de calme. Après la France et l’Italie, c’est presque un choc culturel. Après cette petite balade je retourne au bateau pour libérer Solenzu et lui donner quartier libre sur le pont pour la soirée. Comme souvent avec les chats, vous donnez la main, ils prennent le bras et celui ci se met en tête de taper l’incruste sur le bateau voisin d’anglais fort sympathiques.
LA GRECE
ça y est.. quel périple pour y parvenir…. tu y est enfin…Tu va pouvoir prospecter et trouver de jolis coins afin d’y emmener ton Andromaque.
Ta description de l’histoire de ce pays et de la necéssité des frontières est très réaliste et on ne peut plus d’actualité. Tu nous fait rêver comme d’habitude on ne te le répétera jamais assez.
Quels beaux endroits et si différents les uns des autres tu a la chance de voir mais ce n’est que mérité il vous en a fallu a toi et a Doriane du courage pour y arriver. (a j’oubliais sousou).
Alors maintenant profite repose toi prospecte et continu tes publications afin de nous entrainer dans ton voyage
on t’embrasse très fort Sylvie Robert
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Petit rectificatif
Il s’agit bien évidemment de Pénélope et non d’Andromaque femme d’Hector.
Petite lacune de mémoire…
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