Lundi 10 août 2020
La chaleur commence à devenir dure dans le joli port de cette petite île insolite. Pour chercher un peu de frais je vais me prendre le traditionnel café à l’ombre des cyprès. Rapide conciliabule avec moi même, je décide d’amorcer la découverte de l’île de Corfou par son côté nord et est. La météo ? Toujours pareil, vent de nord à nord ouest qui se lève vers 14h. Il est midi, je pars quand même avec pétole, non sans avoir salué le personnel de la Capitainerie pour la qualité de leur accueil.
Le vent est pour l’instant aux abonnés absent et je me laisse tranquillement dériver. C’est aussi un bon moyen d’apprécier au diapason temporel de la nature le paysage alentour. Le nord de Corfou se distingue clairement. Ce n’est que végétation dense et quelques maigres maisons dispersées. Je suis excité à l’idée d’aborder ce morceau de Grèce. Petit à petit le vent montre le bout de son nez et me permet d’avancer parfois à 4 noeuds, mais le plus souvent à 3.5. Je pourrais envoyer le spi mais la chaleur me donne l’envie de rester à l’ombre et apprécier doucement la navigation.

Des falaises blanches comme la craie découpent le vert intense de la végétation qui tombe dans la mer au plus près de l’eau dans des « ormos » (criques) sauvages. J’arrive d’ailleurs bientôt en vue de l’une d’elle qui me paraît idéale pour un mouillage forain. J’affale les voiles et fais un tour dans la crique. Hélas les fonds sont incertains, je ne vois rien et la profondeur est trop importante pour moi, même au bord de la rive. L’endroit est pourtant d’une beauté rare. Le sable est doré et contraste avec le vert emeraude de la végétation et le bleu intense de la mer. On peut aisément imaginer Ulysse qui échoua ici et fut recueilli par une nymphe dans la douceur de ces îles. C’était il y a 3000 ans mais le charme opère toujours et ce sera ainsi à tout jamais. Cette terre est à mi chemin entre celle des dieux et celle des hommes. On sent un équilibre entre ces deux mondes. Je pense que les dieux antiques étaient plus proches des hommes que ne l’est le dieu des chrétiens, juifs ou arabes. D’ailleurs on n’a jamais déclenché de guerre ni fait de massacre en leurs noms, contrairement au dieu des religions monothéistes. On faisait des offrandes, parfois des sacrifices d’animaux mais jamais d’humains. On ressent ici un apaisement comme si toute lutte était vaine, comme si le jardin des Esperides était ici, toujours vivace et fleuri.
Dommage que je ne puisse m’arrêter ici mais je sens que d’autres trésors sont à découvrir. Je décide de continuer un peu plus loin. J’arrive bientôt dans un paradis tel que je l’imaginais en Grèce. Une petite crique, calme de toute houle, entourée d’oliviers, de cyprès, d’eucalyptus et, au fond un petit hameau avec quelques barques tirées au sec et des Tavernas authentiques au bord de l’eau. Je m’avance au maximum de la rive et pose doucement l’ancre par 3m de fond. Il me faut un moment pour comprendre où je suis. Oui le paradis est terrestre, il est dans ce pays. D’ailleurs les populations antiques le croyaient aussi car la vie après la mort se passait au delà du Styx, dans les enfers et ce n’était pas un doux endroit…
C’est en naviguant dans ce pays que l’on comprend le sens du mot liberté. Il n’y a pas de soi disant parc naturel, de bouées de mouillage à 50€ sous prétexte que les ancres détruisent les posidonies (dans ce cas pourquoi y’en a t il autant ??), pas de limite de baignade… Rien. Juste le bon sens et la confiance au civisme de chacun.
Je vais rapidement me balader pour découvrir de plus près cet endroit. Tout est un peu désuet, sans clinquant ni bling bling, une grève sert de plage municipale où des gamins barbotent devant leurs grand-mères, plus loin sous les eucalyptus des transats et parasols, oh pas bien nombreux à peine une dizaine, permettent à des locaux de prendre un léger bain de soleil et de mer. Je me cherche un endroit pour dîner ce soir et jette mon dévolu sur une Taverna un peu au-dessus du maigre port. La soirée se passe douce et enivrante.

Mardi 11 août
La journée s’annonce sous les auspices du farniente. Je décide de rester ici une nuit de plus. Je me sens trop bien, apaisé. Une légère gueule de bois me rappelle la soirée d’hier avec la liqueur de kumkwat du patron, de trop. Je vais me prendre un café grec à la taverna. J’apprécie ce breuvage, c’est un café plutôt doux et granuleux mais agréable à boire. Après cette parenthèse matinale je retourne au bateau regarder le manège qui commence dans la crique. Une de ces fameuses flotilles fréquentes dans les îles ioniennes du nord vient d’arriver. Il s’agit d’une armada de voiliers, le plus souvent d’anglais, qui naviguent à 10 ou 15 bateaux et écument les spots. Ils déboulent comme une nuée de guêpes, foutent un bordel pas possible et repartent le lendemain. Ils louent ou partent avec leur propre navire, en groupe. Je n’arrive pas à comprendre l’intérêt du principe, il doit certainement y en avoir un mais si éloigné de mes valeurs que je ne capte pas. Je voulais aller à terre boire une bière, ce sera pour une autre fois…
Je trouve qu’une langue est à l’image du peuple qui la parle. L’italien est une langue belle et élégante. Le français est raffiné et complexe. L’espagnol est fier et hautain avec la jota qui donne ce petit ton de fierté. Le Catalan rugueux. Le grec chaleureux et ancien. L’anglais est simple voire simpliste, moche et souvent vulgaire, à l’instar de ces grosses langoustes roses qui se pavanent l’été et dont les mâles arborent un ventre rond de bière sans t shirt dans les commerces et bars.
Bon à savoir :
Ne pas hésiter à aller mouiller près du rivage, les fonds de vase de très bonne tenue restent à 3m.
Je conseille le restaurant Kochili Taverna. Pas très bon marché mais excellent.

Encore et toujours de beaux commentaires si profonds tu est un véritable écrivain qui a le don ,de nous entrainer dans son récit de le faire vivre avec des mots si pleins de réalisme avec parfois une touche d’humour. Il est vrai que face a une nature si belle des gens si chaleureux mais on les vois avec ton prisme c’est d’ailleurs cela qui est intéressant car on est capturé par ton aventure et on en demande toujours un peu plus. C’est là le problème de l’écrivain tu a des lecteurs assidus suspendus a tes récits…
Formidable ce parallèle entre la terre des dieux et celle des hommes
Ta description des anglais nous a bien amusé.
Profite bien de ce paradis Gros bisous
Sylvie Robert
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