Dimanche 16 août 2020
Dans la vie j’ai appris un truc fondamental grâce à la mer. Il y a un prix à payer à toute chose et une récompense à tout problème résolu. Après une belle navigation me voici en vue d’une crique au sud de Moutros sur le continent. Je suis tout d’abord enchanté et surpris de la beauté de cette côte. On dirait un peu ma belle Costa Brava mais à une époque lointaine, sans construction chaotique. De belles forêts, de beaux maquis qui tombent dans la mer, des falaises hautes et ocres, des grottes et anfractuositées qui titillent mon imagination homérique forgée à la mer. Et si l’une d’elle n’hébergait pas une nymphe ou un monstre antique ?
Me voici à l’entrée de la crique. Elle est étroite. Devant, un gros catamaran au mouillage, sur les côtés, 3 bateaux à l’ancre et amarres à terre en angle droit par rapport à moi. Le vent est fort dans la crique. Je prépare le mouillage et retourne aux commandes. Par acquis de conscience je demande à un voilier suédois où est son ancre. Et je mouille juste derrière le cata, bien au centre afin que mon rayon d’évitage (en gros le cercle que le bateau peut faire à 360 degrés autour de son ancre) ne me mette ni dans les rochers ni dans les autres bateaux. C’est OK je mouille l’ancre. Je laisse filer. Ça va vite car le vent est frais, Babar part en crabe et, au fil de la chaîne que je laisse filer, se positionne à un moment face au vent. Là c’est le signe que c’est OK. Je retourne à l’arrière pour peaufiner le mouillage, mettre un coup de gaz arrière pour m’assurer que l’ancre croche bien. Et là, c’est la merde, je constate que le bateau continue de reculer. L’ancre n’a pas croché. Je suis dubitatif car j’ai bien pris soin de mouiller sur zone claire, c’est à dire du sable et pas un herbier. Quelque chose cloche. Mon rythme cardiaque s’accélère un peu mais ce n’est pas la première fois que cela m’arrive, je vais devoir relever le mouillage et recommencer. C’est juste un peu compliqué dans un vent fort et un espace restreint. Je reviens à l’avant et commence à relever la chaîne. Tout est OK mais à un moment je n’arrive pas à relever l’ancre. Celle ci est comme accrochée à une élastique. Horreur, je crois comprendre. Elle n’est pas bloquée par un rocher mais par quelque chose de souple… Le mouillage d’un autre bateau qui aura mouillé trop au centre de la crique. C’est la merde. Le bateau se met à dériver en crabe et les rochers ne sont pas loin. Je pense à filer tout le mouillage pour libérer le bateau en allant à l’arrière chercher un pare battage pour l’accrocher à la ligne, tout balancer et venir récupérer le mouillage plus tard. Tout ça c’est bien joli mais si je fais ça je vais où après sans ancre ni chaîne ? J’appelle en même temps à l’aide les autres bateaux. Help! C’est alors que, dès mes paroles prononcées, 5 ou 6 gars sont déjà à l’eau et viennent à mon secours. Le skipper du cata est le premier à l’eau, sa femme le suit avec l’annexe, le suédois a plongé de suite après, suivi d’autres types et même d’une femme d’un âge plutôt avancé sortie de je ne sais où. C’est con, mais tout ce monde qui a réagit au quart de tour pour venir à mon aide, me réchauffe le cœur qui bat fort dans ma poitrine. Mais je ne panique pas, je suis juste hyper concentré. Je sais ce qu’il faut faire. Je dois rester à bord manœuvrer le bateau. J’envoie mon masque et une paire de palme à l’anglais du cata pour qu’il aille voir en plongée. C’était bien ce que je pensais mon ancre s’est prise dans la ligne de mouillage d’un autre bateau. Mais lequel ? Heureusement que j’ai l’habitude de frapper sur le diamant de l’ancre (au dessus de la pointe) un bout de 3 mètres avec un petit flotteur de pêche. Ainsi on peut accrocher un autre bout en apnée à une profondeur raisonnable sans risquer non plus de prendre une hélice si le bout était à une distance égale à la profondeur. Bref, l’anglais réussit à passer un bout à ce flotteur et avec l’aide de sa femme en annexe à relever mon ancre et la décoincer. J’ai laissé les commandes au jeune suédois et moi je suis à l’avant à relever le tout. OK tout est clair, on peut ressayer de mouiller. Cette fois avec plusieurs anges gardiens qui m’indiquent une zone claire. Ouf c’est fait.
Les leçons de cette mésaventure :
– on ne mouille pas dans un endroit étroit avec surtout des bateaux qui sont amarrés à terre.
– on ne mouille pas quand on ne voit pas clairement les fonds.
– toujours mettre un orin : mon système de bout avec flotteur.
Je peux maintenant apprécier la beauté du mouillage paisiblement.
Après une bonne baignade et douche je fais le tour de mes bons samaritains pour leur offrir des bières. Refus des anglais qui m’indiquent n’avoir que répondu aux usages de la vie des gens de mer : l’entraide sans récompense. Ils m’invitent à monter à bord de leur catamaran. Saleté de covid je dois décliner… C’est une belle occasion pour moi de me remettre les pendules à l’heure. Je fais amende honorable sur mes écrits d’un post précédent où je me moquais des anglais sans fondement et juste, finalement, par préjugé. La réalité est plus subtile, dans tous les peuples il y a des cons et des gens bien à égale proportion. Et surtout qu’il n’y a aucun peuple, ni nationalité supérieurs aux autres. Cet événement est une leçon pour moi. Oui il y a des anglais moches et vulgaires, oui il y a des français moches et vulgaires, et oui il y a des anglais gentlemen ! D’ailleurs ce sont eux qui l’ont inventé, ce ne doit pas être par hasard…
Bon à savoir :
Le mouillage de Moutros peut être très venté avec le vent dominant mais la houle ne rentre pas du tout.
Privilégier une arrivée en matinée sans vent car il est préférable de mouiller l’ancre et amarrer la poupe à terre,
or cette manoeuvre ne peut se faire que sans vent fort dominant qui arriverait, de fait, par le travers.
Lundi 17 août.
Je me réveille tranquillement et relativement tôt pour aller faire un tour à terre en exploration. Depuis la mer le coin est idyllique. Hélas à terre, les affres de la vie terrestre ont corrompu les lieux. Poubelles éventrées, Tampax, serviettes hygiéniques, merde et papier wc… Un vrai dépottoir à ciel ouvert. J’en ai la nausée. Vite retourner au bateau et reprendre la mer. En mer, tout est nettoyé. Oh bien sur, on voit de façon très nette les conséquences de la société de consommation, mais l’air, l’eau, le vent, tout est pur. Cap sur Paxos.
Je mets un peu de temps pour arriver à cette île car je dois louvoyer face à des vents contraires. En vue de l’île le vent du sud fraîchit. Je peux contempler la côte Est de Paxos, de toute beauté. Encore ces forêts de cyprès et, pour la première fois, aussi des forêts de pins maritimes qui ressemblent à des sapins de forme conique. Étrange. Et des oliviers aussi, de culture, car je sais que les olives de Paxos sont renommées.
Je décide d’aller mouiller dans la crique de Kipiadi, loin des foules de Lakka et Gaia. La crique est bien protégée du vent d’ouest à sud ouest et surtout est quasi vide à mon arrivée. Je dois me reprendre à plusieurs fois pour bien poser l’ancre sur des fonds sains de sable et non de roche ou de posidonie. Ça y est j’ai vise un plan de sable, je laisse filer dérivant sous le vent soutenu. Le paysage est magnifique, forêts, plage de galets blancs tout ronds, une eau d’une transparence incroyable et plein de poissons. D’ailleurs en snorkeling, plus tard, je verrais des girelles, et surtout des poissons perroquets, incroyable. Il est temps de profiter de cet endroit magique, calme et apaisant. Après le stress de la veille, je suis justement récompensé !
J’ai néanmoins une petite inquiétude car la météo annonce un vent de sud est pour la nuit. Rien de grave en soi mais la crique est pleinement ouverte au sud est et dans ce sens, les rochers ne seront pas loin. Mais j’ai confiance car l’ancre est bien enfouie et même s’il se lève le vent ne devrait pas être fort.
Bon à savoir :
Pour mouiller en sécurité, la seule zone de sable se situe dans le coin au nord de la crique de Kipiadi.

La mer quel univers magique de part son mystère sa mobilité son agressivité quelquefois..
est un terrain de jeux fantastique et une belle leçon de vie que tu décris merveilleusement bien
bravo de nous faire partager ton analyse avec humilité et honnêteté car on peut se demander comment tu aurais pu te sortir de cette situation sans cette aide.
Et quelle récompense cette belle crique et ces beaux poissons comme aux caraibes les poissons perroquets.
Encore une fois c’est un voyage initiatique on ne peux vivre tout cela sans en tirer la substantifique moelle…
Sempre en davant…
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