Ithaque

Lundi 7 septembre 2020

Aujourd’hui est un grand jour ! Enfin, l’île de tous les rêves d’enfants est à portée de voile. Je ne suis pas sur, hélas, que celle ci fasse autant rêver les enfants d’aujourd’hui. Pour les autres, oui, l’île d’Ulysse existe bel et bien ! Qui a nourrit le mythe ? L’île existait elle sous ce nom avant Homère ou a-t-elle été baptisée ainsi en hommage à l’odyssée ?

Nous laissons derrière nous Kastos, l’une des plus belle escale de notre croisière, avec un pincement au cœur, mais avec une soif toujours vive de découvertes. La navigation de 12 milles s’annonce tranquille car nous arriverons avant la montée du vent dominant de l’après midi. Nous croisons bientôt l’impressionnante île d’Akotos plantée au milieu de ce grand bassin des Ioniennes du sud, entre Kalamos et Ithaque. Nous pourrions nous y arrêter mais nous avons encore tant de choses à voir.

Au fur et à mesure de notre progression, l’île d’Ithaque sort de sa notion de concept légendaire pour devenir de plus en plus réelle et précise. Une grande et haute île entièrement couverte de végétation luxuriante jusqu’au bord de l’eau, de larges et profondes baies, de petites criques colorées. Il est évident que nul autre endroit ne pouvait être la capitale du plus beau royaume, celui du plus beau des héros, Ulysse, pour la plus belle des îles, Ithaque.

Nous choisissons le port de Kioni situé sur la côte Nord Est comme escale. Car il faut choisir judicieusement son atterrissage sur Ithaque, les vents pouvant être tempêtueux dans de nombreux endroits où l’on se croit protégé. Quel site splendide, un vrai port naturel, protégé et calme. Nous allons nous essayer au mouillage avant et amarré au quai par la poupe. Tout est à poste, Doriane est briefée, à l’avant, la chaîne de l’ancre à la main, parée. Hélas, le quai est bondé et pas une seule place n’est disponible. La déception commence à poindre quand, à force de tourner en rond dans la baie à se demander où nous pourrions aller, une place se libère au plus près des Tavernas. Aussitôt, je positionne le bateau dans l’axe, regarde le fond pour essayer de deviner les chaînes des autres navires et éviter une catastrophe (nous verrons plus tard que bon nombre de plaisancier sont moins précautionneux et les chaînes emmêlées sont légion) et mets doucement les gaz en marche arrière. Doriane est à poste, parée à mouiller l’ancre… Allez on mouille ! Ni une ni deux, elle fait basculer l’ancre et laisse défiler la chaîne tout en la contrôlant. J’arrive bientôt au niveau du quai, je lance les amarres à des amis belges rencontrés à Sivota avec JazzaBee qui étaient là depuis la veille (un couple adorable de retraités belges à la vie surprenante). On ajuste le tout, c’est OK, Babar est calé ! Bien joué l’équipage ! Doriane va revenir de cette croisière en vraie marin.

La baie de Kioni est très belle, entourée de montagnes, d’épaisse et odorante végétation, et son petit port-village charmant comme savent le faire les grecs. Les tavernas au bord du quai arborent la même carte mais font la différence par la logistique et le sens inné d’aménagement des grecs. Je réserve pour le soir un dîner à même le sable de la plage. À cet instant, Doriane, qui était allée se balader toute seule en fin de journée m’a offert un joli cadeau authentique que je vais mettre sur la table à carte de Babar en souvenir de ces moments passés.

Curieux de découvrir cette si fameuse et étrange île, nous commençons notre itinérance le lendemain par une balade dans la forêt vers un joli petit monastère entouré d’oliviers centenaires. Nous découvrons de nombreux champs d’oliviers au milieu de la rocaille et des chèvres sauvages. L’endroit semble empreint d’un certain mysticisme antique. On imagine voir surgir d’un buisson le dieu Pan jouant de la flûte. Nous sommes, comme souvent, seuls au monde avec cette très agréable sensation de piquotement au ventre que l’on éprouve face à l’étrange, la solitude et la découverte. La chaleur est presque agréable en ces lieux, à l’ombre des arbres, un léger souffle nous rappelle la proximité de la mer qui se découvre tantôt au détour d’un chemin à travers la végétation. Tous les sens sont en éveil, l’odorat est très sollicité lui aussi avec un condensé d’essences méditerranéennes agrémentées d’un nouveau venu, moins concentré sur les côtes occidentales, le fameux cyprès. Le jour tombe vite et nous devons retourner au port où nous attendent patiemment Babar et Solenzu.

Mercredi 9 septembre 2020

Nous avons loué un véhicule pour arpenter l’île dans tous les coins. Il n’y a qu’un seul loueur sur l’île, il se situe à la capitale Vathy. Comme souvent en Grèce le sens du service est au dessus de tout et le loueur nous amène la voiture directement sur Kioni. Nous devrons la laisser sur le parking le lendemain avec les clés sur le siège conducteur… Nous voici en route direction Frikes, un petit port très exposé aux rafales du vent dominant qui n’a pas beaucoup d’intérêt en soi mais est lové dans un joli écrin de montagnes avec une vallée qui accélère le vent. L’endroit semble un peu à l’abandon parfois, ce qui ne fait que confirmer une impression assez commune en Grèce, comme si certains endroits avaient vu leur population disparaître. Mais l’objectif de cette excursion est d’aller sur les traces d’Ulysse ! Et nous allons au village de Stavros découvrir les ruines de son palais. L’endroit est assez mystérieux car perdu dans les hauteurs de la montagne au milieu d’oliviers sauvages. Une petite mise au point est nécessaire, entendons nous bien, rien ne prouve avec nos connaissances d’aujourd’hui que Ulysse ait bien existé, ni même la guerre de Troie et encore moins l’Odyssée. Mais qu’importe, est ce vraiment nécessaire de rendre la légende vivante ? Ne nous enseigne t elle pas l’essentiel sans qu’elle soit confirmée par des scientifiques ? Car l’histoire d’Ulysse peut nous inspirer pour toutes les situations que nous pouvons rencontrer dans notre vie d’humain, du passage d’enfant à l’adulte, de la nécessaire transformation de nous même pour accéder à un idéal. D’autres, comme moi, y verrons une source inépuisable d’inspiration d’aventures et de découvertes. En tout cas, les ruines de son château ne sont finalement qu’une maigre et bien inutile consolation face au mystère de sa réalité. L’endroit est joli mais vide avec juste quelques pierres et escaliers en granit. Le mythe n’a pas besoin de concret, il doit se contenter de paraboles, d’imaginaire et c’est bien l’essentiel.

Odysseus

Le parcours de l’odyssée

Nous allons déjeuner dans une jolie petite taverne de Stavros après avoir visité les ruines ainsi qu’un tout petit musée de rien du tout (la seule pièce intéressante est un fragment de poterie faisant mention d’Ulysse et datant d’environ 1 000 ans avant JC) . Cela pose question mais nous savons qu’un culte d’Ulysse existait dans l’île avec la présence d’une grotte où des admirateurs laissaient des offrandes. Ceci ne prouve rien sur la réelle existence d’Ulysse, nous avons bien aujourd’hui des clubs de fans extrémistes avec des débilos qui seraient prêts à tout et surtout n’importe quoi pour leur idole.

Nous continuons notre périple sur les routes d’Ithaque en direction de zones montagneuses, toujours sans croiser le moindre véhicule. Nous arrivons bientôt à un solitaire et joli petit cimetière perdu au milieu des oliviers et des chèvres. L’endroit est d’un calme quasi mystique avec juste un léger vent qui donne une illusion de vie aux arbres environnants. Peu de temps après, nous traversons un petit village qui semble vidé de ses habitants à l’exception de quelques chats et chatons. Nous restons là un moment, assis sur le banc du bistrot local fermé, à déguster cette quiétude et ce moment hors du temps.

Nous laissons un petit chaton qui aurait bien aimé être adopté mais la route est encore longue pour faire un demi tour de l’île, finalement plus grande que nous le pensions. C’est alors que, soudain, au détour de la route, alors que nous arrivons aux parties les plus hautes de la montagne, une vue extraordinaire s’offre à nous. Comment décrire les beautés époustouflantes qui jaillissent devant nous comme des feux d’artifice ? J’avoue être troublé à ce moment, muet devant le spectacle de grand architecte de la Nature. Je comprends Ulysse d’avoir fait un si grand voyage pour revenir ici. Pour moi c’est un grand voyage pour venir ici tout court, en ce lieu unique, comme un pèlerinage. La vision s’ouvre à toutes les îles Ioniennes du sud jusqu’au continent grec. En contre bas, très loin, on peut distinguer, comme si nous étions des Dieux de l’Olympe, l’écrin créé par Zeus : les nombreuses baies harmonieuses d’Ithaque avec, en leur sein, le jeu des hommes, des voiliers, la ville de Vathy… Tout paraît minuscule mais aussi en harmonie car l’homme semble à sa place, tout petit… Sans avoir fait de dégât, occupé à jouer son rôle sous le regard désinvolte des Dieux. Au delà, sur l’horizon, s’étale la mer vineuse qui épouvantait tant les grecs antiques. Mais malgré cela, sous la parabole d’Ulysse, ils l’ont affronté, le cœur vaillant, jusqu’à influencer l’ensemble des civilisations méditerranéennes et au-delà même, le monde entier.

Moi je vais rester ici

Et toujours ce silence unique, assourdissant à entendre parfois son propre cœur battre aux vibrations des beautés de ce monde. Je ne suis pas vraiment croyant, mais face à cela, je me plais à croire en une force qui nous dépasse mais assure une cohérence à tout. Qu’on l’appelle Zeus (ou plutôt Chronos son père) ou Dieu, ou même Nature voire même sans lui donner de nom mais uniquement une intention, c’est finalement la même histoire, l’humain a besoin de sens devant une telle harmonie. Bien sûr il y a celles et ceux qui en ont rien à branler de tout ça, ou à la limite juste pour montrer des photos sur Instagram. Cette partie de l’humanité, que je crains importante aujourd’hui, ne m’intéresse pas. Moi je rêve et je vis mes rêves. Ithaque, pour moi, était un rêve jusqu’à ce jour…

Et nous l’avons vécu ensemble, tous les deux, ma Doriane et moi…

Bon à savoir :

  • Le port de Kioni est un des plus beaux endroits que j’ai connu à ce jour. Mais en bateau c’est
    compliqué… on est obligé d’ancrer loin au centre de la baie au milieu des ancres de tout le monde
    et des nombreux bateaux situés de part et d’autres. Essayer autant que faire se peut d’aller
    le plus au fond possible pour mouiller dans une zone plus claire, moins encombrée et moins
    profonde. On peut faire de l’eau le matin auprès du préposé.
  • Le seul restaurant qui vaut vraiment le coup est Mills. Demandez qu’on vous installe une table
    romantique à même le sable de la plage… spécialité : la chèvre d’Ithaque au barbecue.
  • Faire attention sur les mouillages situés sur la côte Est de l’île d’Ithaque car, même si c’est
    calme le soir venu, au milieu de la nuit il est fort possible que vous recevrez une houle venant de
    l’Est de la baie générée par des thermiques du continent.

2 réflexions sur “Ithaque

  1. sylviedoniniorangefr

    L’Illiade et l’odyssée lecture qui a bercé ton enfance.
    Te voila sur les traces d’ulysse quel parcourt et quelle narration émouvante de la nature qui donne a réfléchir comme tu le fait si bien a notre existence et a l’ordonnancement de toute chose.
    Et que dire des photos on n’imagine pas qu’il puisse exister une si belle nature.
    Tu a comme tu le dit trouvé ton endroit, il te correspond par sa nature majestueuse sauvage calme et empreinte de sérénité.
    Continuer de vivre vos rêves et de nous entrainer nous aussi dans ce voyage qui nous fait rêver
    Quelle expérience rare…

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