L’ouragan…

Mardi 15 septembre 2020

La nuit a été terrible. La plus mauvaise depuis le début de notre voyage. Une houle lourde et pénible est entrée vers 3h du matin pour ne plus nous quitter. Le bateau est devenu une véritable machine à laver en mode essorage. Nous avons du attendre la fin de la matinée dans cet enfer pour que le vent se calme. Enfin nous mettons le cap vers la première étape du Péloponnèse, le port de Katakolon, la tête en vrac et le moral au plus bas. Je regarde à tout hasard la météo. Nom de Zeus… Je n’en crois pas mes yeux. Un véritable cyclone est en préparation au large de la Sicile. Je ressens au fond de mon ventre une peur primaire. Celle du vrai danger face à l’inconnu. Où aller ? Est ce que Katakolon est un bon abri ? Après un moment de panique, je retrouve mes esprit. J’étudie minutieusement toutes les alternatives, regarde les 4 scénarios de trajectoire du phénomène qui porte un nom « Medicane » (contraction de Mediterranean Hurricane) et déjà un prénom, Ianos, je prends des avis, sur internet, auprès d’amis. La seule vraie marina est Lefkas située à près de 80 milles de là. C’est trop loin. Plus bas, c’est aussi incertain que Katakolon. Hors de question d’aller dans les îles car les abris ne m’inspirent guère confiance. Katakolon, un nom qui semble prédestiné à une catastrophe, mais qui me paraît le moindre mal dans les environs. Certes c’est un port à la grecque avec aucune autorité portuaire et un amarrage à l’ancre et poupe au quai, autant dire sécurité nulle. Mais celui ci est grand, accueille de gros paquebots de croisière, je me dis qu’il doit bien y avoir un coin pour se mettre à quai longside (le long d’un quai). C’est décidé, nous mettons le cap vers ce port.

Nous arrivons sur zone après 6 heures de navigation. Hélas il n’y a aucune place longside. Seule alternative, à l’ancre… Mais je vois plusieurs voiliers français amarrés. Le temps de préparer mon ancre lourde à l’avant, nous arrivons marche arrière pour nous mettre dans une place qui semble plutôt confortable. Doriane réussit une fois de plus le mouillage parfait à l’avant. Ça y est nous y sommes. Je mets le moteur à 3000 tours marche arrière pour bien faire crocher l’ancre et porte les aussieres aux taquets. J’aperçois alors à tribord sur l’avant une bouée avec marqué Private dessus. Je décide de passer une amarre. Je ne me doutais pas que celle ci allait être mon assurance vie pour la suite.

Nous laissons ainsi le bateau et prenons possession d’un appartement hyper confortable que Doriane a loué sur les hauteurs. Nous verrons demain l’évolution de la météo et la suite des opérations.

Mercredi 16 septembre 2020

C’est confirmé, la tempête est un cyclone et il va nous arriver dessus à partir de jeudi après midi. Il est trop tard pour aller ailleurs. Heureusement nous sympathisons avec nos voisins français des navires Kaitos et Zenon. Une fine équipe avec Jean Yves et Eliane de Kaitos et Christian, Cédric et Anne de Zenon Nous nous entraidons pour préparer nos bateaux à la tempête. Christian, le skipper de Zenon n’hésite pas à plonger dans les eaux boueuses du port pour amarrer nos 3 bateaux à une chaîne mère posée au fond mais sécurisée par des gros corps morts.

À l’avant, en plus du mouillage étarqué au maximum, j’ai une aussiere sur le corps mort, et 2 drisses reprises sur la chaîne mère. À tribord, une amarre reprise sur une grosse cadène qui va maintenir le bateau sur les rafales venant du sud. À l’arrière, 2 amarres sur les 2 taquets + 2 autres prises sur les 2 winchs pour éviter les embardées. Le bateau est prêt à affronter le monstre qui devient au fil des heures de plus en plus menaçant.

Jeudi 17 septembre 2020

Toute la nuit, j’ai pensé à l’événement et surtout aux points de faiblesse de mon montage. Je décide dès le matin d’aller voir le bateau pour rectifier 2 ou 3 choses. Une bien belle initiative car une fois sur place je constate que nous avons oublié de fermer un hublot. Autant dire que le bateau aurait coulé en se remplissant des sceaux d’eau prévus. Je rajoute une amarre sur le corps mort repris directement sur le mat, le point le plus solide du bateau car traversant. Le vent commence déjà à souffler et c’est dans l’eau que je dois rejoindre le bateau que j’ai pris la précaution d’écarter au maximum du quai. J’ai aussi dégonflé et rangé l’annexe. Voilà, tout est prêt, je ne peux rien faire de plus, c’est à Babar de jouer maintenant. Je l’abandonne à son sort avec un sentiment de culpabilité et une certaine honte. Le commandant ne doit jamais quitter le navire. Et là je le laisse seul affronter un monstre terrifiant et destructeur. Je me sens penaud et capitaine de pédalo. Je me prépare aussi à le perdre définitivement. Je suis envahi de tristesse et d’angoisse. Saloperie de réchauffement climatique. Si j’avais Trump sous la main je lui démonterais le casque à coup de barre de fer.

Nos nouveaux amis nous rejoignent dans la résidence le soir car rester dans les bateaux serait synonyme de cauchemar vivant et de danger. L’angoisse nous tenaille le ventre mais notre petite communauté est un vrai réconfort et nous permet de surmonter cette épreuve dans les meilleures conditions. Les heures passent et à chaque fois nous partageons nos informations. Un modèle dit que le cyclone va passer au nord, un autre dit au sud, un autre, le plus pessimiste pour nous, carrément sur nos têtes.

Dans le salon de la résidence nous regardons le théâtre des opérations depuis de confortables fauteuils. Le ciel est menaçant et la mer commence à blanchir. Des gouttes lourdes tombent sur les vitres et, dans la rue le vent emporte feuilles et poussière. Il ne manque qu’un verre de brandy avec un type au piano et nous pourrions savourer l’apocalypse en gentlemen. La nuit promet d’être difficile.

Vendredi 18 septembre 2020

Dehors c’est la vraie tempête. Nous nous sommes donné rdv Jean-Yves, Christian et Cédric à 7h30 pour aller voir les bateaux. C’est le ventre noué que nous nous rendons sur place, déjà trempés face au vent. Nous arrivons sur le quai. Le vent est terrible et fait gîter les bateaux à même le quai. Le clapot est fort même dans le port et Babar est en première ligne du vent et de la mer. Il prend les premières balles fièrement et tient le coup. Je vois qu’une amarre avant a déjà cédé.

Les voisins de sa gauche ont aussi rompu des amarres et Christian, toujours lui n’hésite pas à aller à l’eau pour renforcer les lignes et reprendre sous l’eau des aussieres plus épaisses sur la chaîne mère. L’eau est déjà un maelström et c’est avec courage qu’il s’affranchit de la besogne. Pour Babar, je reprends une amarre arrière qui allait rompre également. Après cette opération il est temps de rentrer.

Le plus dur arrive dans l’après midi avec des rafales à 60 noeuds. La pluie est permanente depuis la veille. Nous allons attendre… Encore une nuit de plus qui promet d’être violente car l’ouragan, après avoir dévasté les îles Ioniennes va repasser au dessus de nous. Mais j’avoue être un peu plus rassuré car j’ai pu voir comment Babar bataillait contre le monstre. Il épousait parfaitement les rafales, se couchant pour mieux se redresser, comme s’il provoquait le cyclone. La mer le faisait danser dans tous les sens et il acceptait la danse comme si cela, fou qu’il était, l’enivrait encore et encore. Quand j’ai vu cela, j’ai su, au fond de moi, qu’il allait survivre.

Samedi 19 septembre 2020

Babar a remporté la bataille

Quelle joie, quel bonheur ! Après la peur vient la fatigue du combat et le sentiment d’avoir participer à la survie de son bateau. C’est étonnant comme, après la violence de la tempête, le temps est calme et la nature sereine. Un peu comme si elle avait purgé un mauvais sang ou vomit un grand coup et se sentait apaisée après. On ressent cet apaisement dans l’air. L’ouragan a emporté de nombreux bateaux mais a aussi, j’espère, donné un signal fort de Dame Nature nous invitant à la pondération dans nos actes et nos excès.

Pour nous détendre nous avons loué une voiture et nous allons aux ruines d’Olympie situées à une quarantaine de kilomètres. Nous sommes encore groguis et c’est avec nonchalence que nous déambulons parmi les pierres et colonnes antiques.

2 réflexions sur “L’ouragan…

  1. sylviedoniniorangefr

    Que dire devant un tel cataclysme en tout cas BRAVO pour ce sens de ta responsabilité de ta préparation de ton anticipation BRAVO pour cette communion du capitaine et de son bateau.
    Et BRAVO a l’équipage de t avoir soutenu et particulièrement a Doriane car il lui en a fallu du courage pour ne pas craquer.
    BRAVO a toi et a BABAR quelle fine équipe.
    Espérons que cette leçon de Dame Nature comme tu dit sera un bel enseignement de notre conduite a l’avenir.
    Courage vous touchez au but.

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  2. Ping : De concert ! – Babar le bateau

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