Dimanche 22 mai
Encore un énième réveil de rêve dans un site exceptionnel. Tout sonne juste, tout est calme, à sa place. Les brebis sont sur la plage pendant qu’un goéland s’entête à manger un truc que je crois être un poulpe mort sur la grève.
Après le petit déjeuner, je lève l’ancre pour aller encore plus au sud. Initialement je pensais rejoindre une crique sur l’île de Serifos mais le vent est si bon que je décide de manger les trente huit milles qui me séparent d’Anti Paros. Pour information, souvent, lorsque deux îles sont très proches avec l’une d’elle de taille plus imposante, la plus petite prend le titre de Anti.
En sortant de la baie je suis saisi par la beauté de la mer. Elle scintille de diamants et réveille en moi des souvenirs si puissants. J’ai vu cent fois ce scintillement, pourtant à chaque fois il me fait le même effet, quelque chose d’indescriptible, un apaisement intense mais aussi une mélancolie de moments passés, d’il y a quinze ans, quand je commençait la voile, quand la mer était encore entourée de mystères. Je me rappelle ce scintillement sur la mer Catalane lors des premières navigations de printemps, quand l’été est presque là mais reste encore timide. Tout à coup je frissonne de peur. Peur que tout ceci disparaisse un jour, que la nature devienne folle par les excès de l’Homme et qu’elle reprenne brutalement les cadeaux qu’elle nous offre. Qu’il ne reste que terre brûlée et air irrespirable. Que ma Méditerranée meure et devienne un four impraticable. J’essaye d’évacuer ces noires pensées en me concentrant sur la navigation.



Je suis au près par vent de onze à douze nœuds (c’est une estimation car la girouette de l’anémometre est HS) et je file à plus de six nœuds.

Déjà je dépasse Serifos. À ce moment le vent adonne et passe sur mon travers babord, c’est le moment pour envoyer la voile feuille, le gennaker. J’adore faire des manœuvres à bord, étudier le vent, l’optimiser en essayant d’en tirer le mieux parti et adapter la voile qu’il faut. Je n’aime pas les voiliers sophistiqués qui assistent à outrance le skipper comme si celui-ci était handicapé. Moi sur Babar, je jongle entre les trois dimensions de la grand voile (haute et deux ris), le génois (que je ne réduis jamais sur l’enrouleur, c’est tout ou rien), la trinquette (que je grée sur l’étai larguable), le solent (que j’envoie après avoir affalé le genois), le gennaker, le spi symétrique avec tangon. Sur nombre de voiliers de croisière, il n’y a le plus souvent que deux voiles, la grand voile et le génois, point barre. Quel dommage, quel plaisir gâché.
Avec ce vent régulier, forcément la mer s’agite un peu, et, venant du sud et de la mer du large de la Méditerranée orientale, il dépose beaucoup d’humidité sur le pont. À six milles de la passe entre Paros et Anti Paros, le vent, comme je le craignais, s’éteint et c’est au moteur par mer un peu hachée que je continue ma route. Le fameux chenal entre les deux îles se présente devant moi. Je mets le moteur en marche lente, veille sur le sondeur et parfois vais même à l’avant scruter les fonds. Six mètres, cinq mètres, quatre mètres, trois mètres… aïe, je suis d’une vigilance extrême mais ça passe. J’aperçois enfin la petite citée d’Anti Paros et choisis un mouillage au sud qui me permettra de rejoindre le port en annexe. Il s’agit d’une baie ourlée d’une belle plage aux eaux peu profondes.



J’ai hâte d’aller explorer cette jolie cité blanche. Ni une ni deux je gonfle l’annexe, puis, après une petite baignade et une douche, je vais avec Babarounet en direction du port qui est finalement assez loin. À bord de mon frêle escif je dois faire attention au trafic incessant du bac qui relie les deux îles. Le port est rempli de petites barques colorées et de caïques (bateau turc en bois transformé en promène couillons) et les habituelles tavernes le long du quai. La petite ville est charmante, toute de blanc, pavée et très propre mais il fleure comme un air de paradis pour riches qui manque cruellement d’authenticité. J’aime bien mais je n’ai pas le coup de cœur. Au détour d’une ruelle à l’écart de la rue des touristes, je tombe nez à nez avec une poule, que fait elle là ? Rencontre insolite. Je vais manger un calamar farci avec un verre de vin et je retourne au bateau.





