Lundi 23 mai
Nouvelle journée, nouvelle destination. J’aime ce concept propre à la navigation à la voile, aller où on veut, quand on veut, si on veut. Aujourd’hui je veux aller à Mykonos. La météo actuelle est un cadeau pour aller visiter cette fameuse île aux vents. Elle est souvent en première ligne du tempêtueux Meltem et difficilement accessible en temps normal. Je mets d’abord le cap sur l’île de Delos, l’île d’Apollon avec ses vestiges du sanctuaire dédié à son culte.
Mais la journée commence difficilement, la nuit a été compliquée, le repas de la veille est mal passé et un vent de mer s’est levé dans la nuit et avec lui un clapot désagréable. Je pars la tête lourde. Mon espoir de vent est vite déçu et c’est au moteur que j’effectue cette navigation. Mais qu’importe le flacon pourvu que l’on ait l’ivresse ! Je n’ai même pas noté l’heure de départ et je suis bien embêté pour donner la durée du parcours.

Après de longues heures de mer de 22 milles parcourus, j’arrive en vue de Délos, proche de Mykonos et il est environ 16 heures. Pour atteindre le mouillage situé au nord de l’île dans une baie bien abritée du vent du sud, il faut embouquer (j’adore ce mot, je le trouve évocateur de la flibuste et des boucanniers) un canal du sud vers le nord. Délos est en fait un petit archipel de plusieurs îles et ce canal sépare deux d’entres elles de façon étroite. Elles sont totalement désertiques, pelées par le vent et le soleil et vides de végétation à part un maquis rabougri.



Je pose enfin l’ancre dans une jolie anse insolite entourée de désert. J’ai l’impression de mouiller en mer Rouge. Me reviennent en mémoire mes lectures inspiratrices d’Henri de Monfreid, navigateur audois et aventurier de la première moitié du XXe siècle. Il a écumé la mer Rouge et la corne d’Afrique en contrebande en tout genre. Intrigué je vais à terre. Mais le spectacle qui se présente à moi est édifiant. Du plastique à perte de vue sur la plage et alentours. Et le plus inquiétant, ce que je prenais pour du sable multicolore éclatant n’est autre que du micro plastique réduit en sable. C’est effrayant. C’est sûrement le vent du nord fréquent qui vient déposer ici sa sinistre récolte. Une grande tristesse s’abat sur moi et m’envahit. Je regarde autour de moi et je ne vois que désert et plastique avec le vent qui me caresse le visage. C’est comme si j’avais une vision, un témoignage vivant de la fin du monde. Mal à l’aise et impuissant je décide de retourner au bateau.


Il y a sept autres voiliers dans le mouillage et c’est bien la première fois que je partage avec autant de monde mon refuge. Mais je passe une bonne soirée sur le pont sous le son d’une guitare joué à bord d’un voilier voisin. J’assiste ainsi au coucher de soleil d’une journée brûlante de ses rayons.
