Mardi 11 octobre 2022
Il est encore tôt sur ce qui ressemble à un lac de montagne. J’entends même au loin des aboiements de chiens. Il n’y a pas un son, personne pour gâcher ce moment. Chose étrange, de nombreuses fourmis ailées ont pris le pont de Babar pour pistes d’atterrissage. Certaines sont mortes, d’autres vivantes, le vent va faire bientôt le tri.


Doucement, je branche le moteur et vais relever l’ancre. Cette mini mer intérieure est très étonnante, entourée à l’ouest de montagnes, au sud de l’imposante île de Poros et ensuite de petites collines verdoyantes. Il n’y a pas un souffle d’air, je croise un pêcheur qui relève méthodiquement ses filets. J’ai toujours trouvé cette vision poétique, par matin calme, du labeur noble de la petite pêche.




Bientôt, j’arrive devant la grouillante ville de Poros avec un nombre incalculable de voiliers de location un peu partout, sur les quais, à l’ancre, amarrés à des bouées etc. À dire vrai, c’est un peu le bordel et ça ne m’incite guère à m’arrêter. Je longe les quais à marche lente en m’engageant dans le chenal balisé qui sépare l’île de Poros du continent d’environ deux cents mètres. Les maisons sont colorées et les ruelles étroites attisent néanmoins ma curiosité mais ce sera pour une autre fois.







Enfin le large s’offre à notre étrave, avec une houle qui met mon estomac à rude épreuve. Heureusement le vent ne se fait pas prier et cale bien Babar, atténuant ainsi les effets pervers de la houle. On va vite et fort. Le bateau se cabre mais reste droit dans ses bottes, puissant et serein face aux vagues. Je ressens une grande émotion face à cette force avec laquelle mon bateau compose, il en prend le meilleur parti et exploite les contraintes de la nature pour faire ce qu’il aime le plus, me transporter avec sûreté et bienveillance. J’ai une confiance totale en lui et je me sens bien, en humant l’air chargé d’iode et d’humidité saline.
Je m’engage, comme l’été dernier mais dans le sens inverse, entre l’île d’Hydra et le continent, cap au sud ouest.
Le vent monte en régime, d’abord au bon plein, je vire un peu pour le recevoir ainsi au grand largue. On avance bien à plus de six nœuds en permanence. Je décide d’enrouler le génois pour naviguer sous grand voile haute. Les vents sont trop capricieux ici pour envoyer le spi qui me mettrait dans une posture délicate.

Après avoir doublé l’île Kisos Dokos au sud d’Hydra, le vent tourne totalement pour venir au près serré. Allez comprendre, j’étais au grand largue (environ vent arrière) et je me retrouve au près (vent de face) c’est la Grèce. Ce n’est pas grave, j’envoie le génois, j’étarque au max et continue ma route jusqu’à l’île de Spetses. La zone de navigation est sublime avec de hautes îles désertiques tout autour qui titillent mon imagination de découvreur, combien d’anfractuosités avec sa vie propre, peut être même l’habitat de farouches phoques moines, combien de parois rocheuses avec quelques chèvres autochtones. C’est la Méditerranée onirique qui s’offre à qui peut la prendre ici. Je ne fais pas référence au pouvoir de l’argent mais au pouvoir de l’imaginaire, source de découverte. Colomb n’aurait jamais découvert l’Amérique sans l’imaginaire de ses rivages.
J’arrive vers 18h30 au mouillage choisi après avoir fait quarante milles en huit heures, tout à la voile bien entendu, mais est ce nécessaire de le préciser tant le vent est toujours présent en Grèce. L’endroit est idyllique, avec une eau turquoise et un calme total. Je décide d’aller à l’eau avec mon masque pour voir l’ancre, le vent étant incertain, et en profiter pour me faire une balade aquatique. J’ai vu une raie et de nombreux poissons colorés comme des girelles et des crénilabres paons. La soirée est noire près plusieurs nuits de pleine lune. Le mauvais temps guette. Je regarde la météo et une forte dépression est prévue à partir de vendredi soir et semble s’installer durablement.
Il me reste dix jours de croisière mais le risque est trop grand de rester coincé d’autant que la marina de Porto Helli toute proche ne me répond pas et que le chantier naval du coin, de Kilada, que j’aurais pu solliciter en cas de besoin, m’a précisé par email qu’ils n’acceptent pas les bateaux de moins de dix mètres. Quand la cupidité côtoie la bêtise, on frôle l’abîme. Quel connard, je ne daigne même pas lui répondre. Je décide donc de me lever très tôt demain, vers cinq heures, pour faire demi-tour et revenir dans le golfe Saronique. La navigation retour s’annonce sportive car le vent du nord va commencer à souffler. Nous verrons demain, j’ai confiance en Babar.