La dernière belle bordée de l’année

Mercredi 12 octobre 2022

Je suis réveillé par le chant du coq à cinq heures. C’est la nuit, le vent commence à souffler, il fait noir comme dans un four et j’ai un peu le ventre noué. L’ambiance est un peu sinistre, rien à voir avec la veille quand je suis arrivé. Je lève l’ancre, sors de la crique face à l’île de Spetses et envoie les voiles. Rapidement, je fonce toutes voiles dehors comme une balle dans l’obscurité. Des feux rouges sur tribord, un bateau suit la même route que moi, c’est un voilier, plus loin des feux verts me dictent la prudence. C’est ok, il s’agit du ferry qui rejoint l’île. En face des feux blancs à éclats, c’est le petit phare de Kunupia qui indique des hauts fonds et la sortie du canal de Spetses.

C’est alors que, allant maintenant vers le nord, un paysage grandiose se présente à moi. Plusieurs grandes îles, croisées la veille, se dessinent sur l’horizon, mais tout est si différent en mer que c’est un tout autre tableau aujourd’hui, par mer agitée, et sous la lumière timide de l’aube. Tout est plus dramatique, mystérieux et inquiétant. Alors que hier, par grand soleil, les îles étaient un morceau de Méditerranée, à ce moment précis, vers sept heures du matin sous un temps maussade et par soleil levant, c’est plutôt les Kerguelen.

Je ne suis qu’au début des longues et incessantes manœuvres qui m’attendent. Le vent monte progressivement, douze, quinze, vingt nœuds. Le bateau réagit admirablement bien mais me supplie de réduire la voilure pour l’aider un peu. Je prends juste un ris dans la grand voile et c’est parti pour un premier virement de bord au sud d’Hydra. Ça fume, ça hurle dans les haubans, ça bouge dans tous les sens, c’est bon ! Je suis comme un démon fou enivré du vent. Je ne loupe pas une miette du grand spectacle qui s’offre à moi et je m’en gave jusqu’à plus soif.

Il est environ neuf heure trente, je dois négocier le passage compliqué entre les îles Hydra et Dokos. Un virement, un deuxième, un troisième, un quatrième, ouf un cinquième et c’est ok, je suis passé. Le vent semble s’apaiser un peu maintenant. Mais ce n’est qu’un mirage. Je largue le ris et envoi toute la toile. Comme s’il voulait me faire payer tant d’impudence, Eole gonfle les muscles et m’envoie soudain des rafales à vingt trois nœuds, parfois plus. La mer est farcie de gros moutons et la houle de face est grosse. Je décide d’enrouler le génois et de gréer la trinquette. La manœuvre est longue et périlleuse dans ces conditions. Je dois retirer les écoutes de génois, les lover à poste, gréer l’étai largable sur la plage avant, apporter le sac avec la trinquette puis la gréer sur l’étai avec ses mousquetons, le tout sous les paquets de mer. Puis envoyer le tout. Le bateau réagit mieux, il a, ce que l’on appelle la toile du temps. Comme je trouve cette expression poétique… la toile du temps. Un chef d’œuvre.

Au bout d’une période d’environ trois heures dans ces conditions, la mer et le vent se calment et je peux renvoyer le génois et faire route directe sur Egine. Et oui, j’ai finalement décidé de remettre le bateau à sec une semaine avant. La météo trop incertaine m’incite à la prudence et puis j’ai hâte de retrouver le gros ventre de ma Dodo !

Le vent a tourné et vient maintenant du nord est, ce qui positionne favorablement le bateau cap direct sur Egine alors qu’il ne reste plus que dix milles à parcourir. Des dauphins viennent me rendre une dernière visite que j’interprète comme un au revoir.
En arrivant à mon mouillage habituel au sud de l’île, je suis surpris du grand nombre de bateaux. Je commence à comprendre, le jeudi est le jour habituel du retour des bateaux de location sur Athènes et Egine constitue une halte de choix pour une dernière escale. N’ayant, en aucun cas, l’esprit grégaire, je décide me trouver un endroit plus paisible. Je cherche plus haut, devant la plage de Marathona mais rencontre des difficultés à identifier un fond sans posidonie. Je tourne en rond et, enfin, une tache claire se dessine sur le fond, il va falloir viser juste, je mets les gaz doucement, mais le vent pousse le nez du bateau. J’y retourne, cette fois en calculant la dérive due au vent, arrêt des gaz, je file à l’avant larguer l’ancre pile sur le patch de sable !! La posidonie est sauve ! Je ne suis pas sur que la majorité des plaisanciers prennent autant de précautions que moi. Je suis au calme, loin des fous, je me sens bien. Le bilan du jour, treize heures de navigation tout à la voile pour soixante huit mille parcourus (sur le fond, car j’ai tiré de nombreux bords, plus de vingt ! Ce qui a singulièrement rallongé le parcours initialement prévu de trente neufs milles). Je peux dormir tranquille.

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