Printemps 2023

Jeudi 11 mai 2023

Je suis évidemment enthousiaste à l’idée de retrouver Babar, comme tous les ans. Mais je ressens un grand vide car mes filles ne viendront pas. Raphaëlle est encore trop petite pour pouvoir être embarquée en mer Egée. C’est donc la première fois que je vais naviguer sur Babar en étant seul… mais père !

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, dompter la solitude, c’est travailler la capacité à regarder le néant dans les yeux et finalement à le trouver attirant. On né seul, on vit seul avec les autres, on meurt seul. Notre esprit grégaire n’est qu’un réflexe de survie, pas forcément de vie. On peut être heureux seul, je l’ai été, aujourd’hui je ne le suis plus et je n’apprécie que modérément cet état même si j’aime retrouver des fenêtres de solitude. C’est même essentiel à ma sauvegarde mentale et physique dans le nihilisme de la vie moderne. Je ne comprends d’ailleurs pas la notion de vie active quand on fait référence à la vie de labeur pour survivre. Comme si l’inverse était considéré comme une mort prématurée. Pourtant je décèle plus d’inactivité dans le regard de mes congénères du métro que dans celui d’un vieux type qui contemple la mer assis sur un banc. Je milite pour une contemplation active de notre monde, on ferait moins de conneries.

Deux heures du matin, j’arrive à mon hôtel du Pirée après les habituelles péripéties d’aéroport (on croit s’habituer mais non… c’est de plus en plus la pagaille, comme si on assistait à la fin de ce mode de transport). A chaque fois je change d’établissement pour ma nuit d’escale, en espérant du mieux, peine perdue. Dans l’un ce sont les vapeurs de gasoil des ferry, dans l’autre un lit monoplace, encore un autre l’odeur du tabac. Dans celui ci c’est l’odeur de renfermé et une salle d’eau minimaliste qui me mettent dans le bain d’un début d’aventure. D’une certaine façon, être dans l’inconfort est la préface d’une aventure aussi courte soit elle. La mienne sera de deux semaines, comme tous les ans au printemps. Cet inconfort relatif est aussi l’occasion de s’initier modestement aux conditions de vie des autochtones. Ce serait si vulgaire que d’exiger de reproduire son petit chez soi chez les autres. Oui, les habitants du Pirée vivent dans la pollution intense et débarquer chez eux en exigeant des trotinettes électriques et moins de trafic routier sera au mieux déplacé, au pire insultant. D’ailleurs j’aime bien l’avis de Sylvain Tesson sur ces nouveaux attributs du citadin pressé, végan et startupeur « Une forme superbe de l’abomination contemporaine ».

Il est temps de me présenter devant le quai de l’habituel ferry. Le temps est maussade, il y a même quelques gouttes qui tombent. Une foule bigarrée de vieilles et de jeunes se pressent dans le bateau, je laisse ces fous dans les étages intérieurs avec sofa, cafétéria, jeux vidéos et autres débilités pour les occuper. Les masses ne supportent plus l’ennui, il faut absolument les divertir sans cesse comme un enfant, comme un chien à qui on lance la balle. Je monte vite sur le pont et me trouve un espace à moi près de la timonerie, sous le vent, comme un chat qui recherche à tout prix la tranquillité. Et là, enfin, j’observe, je sens, ressens. La mer est grise aujourd’hui, elle ne s’est pas déguisée outrageusement comme une pute fatiguée pour exciter encore et encore le touriste, elle est sans far, pudique et pendant que les gogos s’empiffrent à l’intérieur, j’ai l’impression d’être seul avec elle, dans sa loge avant le spectacle. Et elle me dit sa lassitude de son numéro, elle aimerait tout arrêter, elle est fatiguée, vieille, usée. Et pourtant il va falloir remettre le couvert dans un mois car le clou du spectacle arrive, l’été avec ses hordes de barbares qui ont payé et en veulent pour leur argent, toujours plus, jusqu’au bout, et qu’importe que de l’acide la corrompe, que des huiles solaires et des plastiques déversés l’empêchent de voir le soleil, que ses compagnons de lutte, dauphins, tortues, phoques moines disparaissent, on s’en fout, on en veut pour notre argent ! Le spectacle doit continuer à tout prix jusqu’à la lie ! D’un coup, j’ai un peu envie de vomir et je regarde mes pompes. Quel monde vais je donner en héritage à ma Raphaëlle ? Avoir un enfant est une chance que la nature nous offre pour essayer quelque chose, un pas de côté, une nouvelle recette. Je ne veux pas en faire le miroir inversé de mes échecs, je vais juste essayer de lui montrer ce qu’il y a à observer et à respecter. Le reste lui appartiendra.
La journée n’a que peu d’intérêt si ce n’est la préparation de Babar.

Vendredi

Je me réveille avec une grosse migraine dans la chambre trop chauffée de mon hôtel sur Egine. Je me suis couché la veille, épuisé de la journée de préparation de Babar. C’est toujours la même histoire, je cours dans tous les sens, je m’excite tout seul comme un pauvre diable pour tout préparer et je mets deux jours à m’en remettre. Cette fois là ne déroge pas à la règle !
Ça y est Babar est dans la darse, le museau frétillant face à la mer. Je mets le moteur en marche. Bizarre, le bruit du moteur n’est pas comme d’habitude, je regarde sous le bateau et il n’y a presque pas d’eau qui sort par l’échappement. Vite j’éteins tout. À ce moment, le gars du chantier me dit goguenard : « there is probably air on the system,
look if the water lock is close »… ben oui, il était ouvert, du coup l’eau de mer n’était pas aspirée pour refroidir le moteur. Je me sens un peu con.
Ma migraine est toujours là et m’empêche d’apprécier vraiment cette première navigation. Je mouille l’ancre dans une baie (Ormos Varis) sur la côte Attique après trois heures de mer, pour me reposer et passer ma première nuit. Le vent est frais et assez soutenu sur le plan d’eau m’obligeant à prendre ma douche sur le pont après avoir fait chauffer de l’eau dans la bouilloire ! Vite, dodo !

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